Pour une fois, il faisait beau. Très beau, même. Le soleil écrasant m’avait forcé à retirer ma lourde veste au profit de la chemise. C’est limite si je ne l’ouvrais pas plus que de nécessaire, pour être sûr de m’aérer correctement. La sueur roulait sur mes joues et ce n’est que dans mon chapeau de marine que se trouvait un espoir de survie. Il faut dire que la chaleur des Caraïbes, c’est quelque chose. Et depuis toutes ces années que j’y suis, il n’est encore avéré que je m’en sois habitué. Après tout, en tant que britannique d’origine, venant du bassin londonien, je n’ai pas réellement une peau, ni un physique, qui conviennent à ce climat. Mais il faut garder une bonne allure et se montrer, parce que je suis un marine et qu’il n’est pas question de faire mauvaise figure. Avachi dans mon hamac tendu entre deux mats, je me balance donc lentement pendant un petit moment. Je me cache des rayons agressifs et soupire. C’est insupportable.

«Les gars… il va falloir aller chercher de quoi remplir les cales. »

Que je dis. Dans un murmure, je m’adresse à quelques matelots mais ils acquiescent en silence, soufflant eux aussi. C’est à partir de là que je me décide à bouger, je crois. Le soleil est trop haut dans le ciel pour que la voile me fasse de l’ombre. Mais j’imagine qu’en ville, le long des murs, la pierre sera fraîche et l’atmosphère bienfaisante. Je quitte la frégate dès ce moment, uniquement vêtu de mon vêtement entrouvert, de mon braquemart à la hanche et mon pistolet dans le dos. Personne ne m’accompagne et c’est tant mieux. Tout est calme, de toute façon. Les gens devraient dormir de ce temps. Le commandement est laissé à je ne sais plus qui. Mais bon… longer le ponton et voir toute cette eau… il faut que je résiste.

Quand il faut y aller, il faut y aller. C’est ce qu’ils disent tous. Je ne vois pas pourquoi, mais bon. Procrastiner est aussi une manière très agréable et efficace de vivre. J’aurais très bien pu remettre cette expédition-suicide à demain. J’aurais pu éviter d’avoir à quitter mon très cher navire pour gagner des contrées pour le moins inhospitalières. Si elles me paraissent méchantes, c’est évidemment à cause de cet enfoiré de soleil qui tape comme un sourd. Enfin, il ne faudra sûrement pas compter sur sa clémence. Lentement mais sûrement, je remonte le pont, tête baissée sur les flots qui claquent autour de moi. Quand soudain…
Je ne peux manquer de m’arrêter, posant subitement la main sur la garde de mon arme, dans un réflexe que j’ai souvent vu salvateur. Je me raidis, tend l’oreille, écoute, tente d’identifier la voix. Ca ne me dit rien, hélas. Un conseil probablement fort avisé, bien que j’ignore de qui il s’agit. Ma tête se tourne péniblement, de même que mon corps. Qui diable est ce grand brun ? Et surtout, ai-je vraiment besoin de le savoir ? Je cille, lève les yeux sur ce pathétique travail de logistique et… et quoi ? Les bras croisés, j’observe cet homme quelques secondes. Qu’est-ce que je suis sensé répondre ?

« Ah… »

Un beau “ah” expressif et ne mène nulle part. En attendant, je ne vois pas bien ce que je peux faire. Je lui tourne donc le dos, les yeux sur cette machinerie archaïque qui grince, craque, mais semble tenir bon. Il fait chaud et me voilà contraint d’attendre jusqu’à la fin des temps. Pas cool, ça. Après un long soupir, je me permets donc de poser de nouveau les yeux sur l’inconnu.

« Et vous suggérez ? »

Il n’y a pas vraiment d’autre passage pour gagner la ville. Hors ça, je ne vois que la nage. À moins d’aller garer mon bateau ailleurs. Mais cette solution, je peux l’exclure d’office.