C’pas l’endroit que tu préfères au monde, Tortuga, mais t’y vas quand même parce que l’Captain, il a décidé d’y aller. C’est vrai qu’c’est bon pour le moral des autres. Des femmes et de l’alcool, des endroits où vendre le butin et échanger trois pièces contre une nuit entre les cuisses d’une pute. T’as jamais vraiment compris l’intérêt du sexe, toi, alors t’y vas pour faire plaisir à l’équipage. Et aussi parce que si tu vas pas coucher à droite à gauche de temps en temps, tu sais qu’ça va causer et tu préfèrerais qu’il n’y ait pas trop de rumeurs qui circulent sur ta pomme.
 
Tu reviens de la taverne ou t’as filé une pièce contre du rhum acceptable. Ils te connaissent la bas. Ils savent que tu veux pas de la pisse qu’ils servent aux autres. T’as même pas eu besoin de forcer. T’as juste demandé clairement c’que tu voulais et t’as eu. Comme d’hab. T’as l’charisme qu’il faut pour ça. Et t’as l’habitude de te faire obéir au doigt et à l’œil et ça, c’est écrit sur ta face quand tu donnes un ordre.
 
Ta bouteille à la main, t’hésites. Il est trop tôt pour retourner au bateau. Alors tu te diriges vers la plage. La pute attendra la nuit, comme ça en plus t’auras droit à un vrai lit et une vraie couverture. Et sur la plage, tu vois ton p’tit mousse, le p’tit nouveau. Kidd. Les pieds dans l’eau, occupé à boire son rhum comme une femmelette. Tu soupires, et tu te poses à côté de lui. T’es silencieux pendant un moment. Rien qu’à l’odeur, tu sais qu’il boit de la pisse. Tu soupires et tu lui tends ta bouteille de rhum épicé.
 
« Si tu veux qu'ils commencent à te prendre au sérieux faudrait que t’arrêtes de grimacer quand tu bois de la gnole. Bois ça, ça ira mieux, déjà. »

 
L’gamin il grimace encore une fois. Tu soupires et tu songes au fait que si tu veux en faire un jour un vrai marin, faudra qu’il apprenne à boire. Ou que tu lui apprennes à boire. Mais t’as pas trop le temps de prendre un poulain sous ton aile. Tu regardes les vagues, pensif, et tu récupères ta bouteille des mains du Pti Gars sans lui demander sa permission ni son avis. C’est ta bouteille après tout. Tu bois une longue gorgée, et tu grimaces pas. Il est bon, ton rhum. Presque. T’en as déjà gouté du meilleur mais il était plus cher.
 
« Je veux qu’le gout soit meilleur. Il peut. Demande un rhum épicé la prochaine fois. Tu peux en trouver des pas trop chers. Même ta bourse à toi devrait pouvoir t’en payer une bouteille de temps en temps. » Et surtout ça lui évitera de grimacer comme une pucelle à chaque fois. Parce qu’il est bien gentil l’gamin, mais il fait un bien piètre pirate s’il peut pas boire son rhum avec une face impassible. C’est surtout que tu sais qu’il risque de se faire chambrer encore et encore et t’es pas sûr qu’il ait la carrure pour supporter les vannes non-stop.
 
Tu sais qu’il a un bon fond, et tu sais qu’il a de la débrouille aussi. Quand tu lui demandes de faire un truc, il le fait tout de suite, et toujours de façon très convenable. T’as pas à te plaindre du petit, c’est un bon mousse et il fera un bon matelot un jour. Faudrait juste qu’il s’épaississe un peu. Tu te notes de le faire grimper au voilage, et de le faire passer quelques nuits au guet pour le muscler et l’endurcir un peu. Mais pas maintenant. Maintenant il a repos et toi aussi. T’es pas quartier maitre du Fortune ce soir. Ce soir t’es juste Morgan Reed, un pirate qui a envie d’un peu de repos. Tu vires tes bottes aussi et tu laisses l’eau venir te chatouiller les orteils.
 
« Il me semble que si j’avais mieux à faire, je serais en train de le faire. » Ah ben ouais. T’es la logique incarnée c’est vrai. Ça te convient bien pour le moment, d’avoir le cul dans le sable et les pieds dans l’eau. Ça te convient bien, la compagnie du mousse nerveux et silencieux. Il braille pas dans tous les sens et se sent clairement pas obligé de te lécher le cul pour s’accorder tes faveurs. « Et toi ? T’as rien de mieux à foutre que de rester la a picoler du mauvais rhum en solitaire ? »

 
Et le revoilà qui grimace. T’espères qu’il tient mieux l’alcool qu’il ne le descend. Parce que sinon tu vas être bon pour le porter jusqu’au bateau. On attend le capitaine s’il s’est pas pointé à l’heure du départ. Mais le ptit mousse, on l’attend pas. Et t’es pas sa mère, ni son père, ni même son pote. T’es pas responsable de lui en dehors du pont du Fortune. Alors tu te demandes pourquoi ça te ferait chier de l’abandonner sur sa plage pour le laisser cuver l’alcool qu’il s’est envoyé. Tu descends une nouvelle lampée de ton rhum, le presque bon avec un vague gout de vanille.
 
Tu te demandes vaguement dans le coin de ta tête pourquoi il est là, et v’là qu’il répond à ta question. Tu parles d’un pirate s’il aime pas la drague la baise et la bouffe. Qu’est-ce qu’il fout la ? Tu te demandes sincèrement si ce petit con ne serait pas mieux dans la Marine. Et puis tu te souviens d’une discussion dans les voiles et tu soupires. C’est trop un petit con, il a une trop grande gueule pour être un bon soldat. Il sait à peine assez tenir sa langue pour ne pas se faire démonter la gueule par ses collègues.
 
« Alors tu préfères boire de l’alcool seul, sur la plage, à regarder le soleil se coucher ? Tu vas pas te mettre à nous composer des sonnets en plus. Manquerait plus qu’ça. » Tu juges pas son manque d’intérêt pour les putes et les jeux à boire. La bouffe par contre… Tu t’es fait péter la panse à peine sur terre. La bouffe de bateau ça va bien un moment et puis au bout d’un moment t’en peux plus et il te faut de la viande fraiche et du pain chaud et autre chose que la bouillie que l’cuistot sert en fin de voyage. « Tu devrais quand même aller aux putes de temps en temps. Sinon ça va causer. Et y a des rumeurs que t’as envie d’éviter, crois-moi. » Faire comme toi hein Morgan ? Parce que t’es un tel exemple. Tu te forces à aller voir une femme qui en voit d’autres des hommes. Tu la laisses t’aguicher et tu lui files trois sous pour passer la nuit dans ses bras et dans son lit. Ça t’laisse de marbre tout ça. T’apprécies la douceur de ses formes et la chaleur de son corps, mais ça t’indiffère au final.
 
« Et faut qu’tu t’intègres en plus, Kidd. Force-toi à trainer avec l’équipage. Tu t’feras jamais réellement accepter, sinon. » Encore de bons conseils. Décidément. C’est l’alcool qui parle ou bien c’est le soleil qui te tape sur la tête ?

 
« Pas assez mignon ? Y a que les beaux gosses qui ont le droit d’être des poètes dans l’âme ? » Tu demandes, surpris. Si c’était un moyen détourné de la part du mousse pour savoir si tu le trouves a ton gout, t’en sais rien et franchement, t’es bien loin d’y penser. La drague, c’est pas ton truc. T’as jamais courtisé une fille. Le plus subtil que t’aie fait, c’est lui filer ses pièces avant de lui demander combien c’est pour la nuit. Eh ouais. Trop un lover. Beau gosse, va.
 
La plage au soleil couchant ça t’fait rien. T’es pas un poil romantique. T’admets que c’est beau, mais ça te retourne pas le cœur et ça te donne pas envie de composer des sonnets. Tout au plus ça te rappelle que c’est bientôt l’heure d’aller en ville, de te trouver une petite pute pas chiante et de faire ton affaire pour pouvoir jouir du luxe d’un GRAND lit avec un MATELAS digne de ce nom.
 
… Et le v’là qui te parle de ses problèmes perso. Alors comme ça il sait pas la lever pour une dame ? Tu soupires, et tu te passes la main dans les cheveux. Tu vas demander une augmentation au Captain, si faut en plus que t’expliques les roses et les choux aux mousses. Tu soupires encore, et tu prends une longue gorgée de rhum avant de tenter de lui répondre.
 
« D’après toi, c’est quoi le mieux ? Des gens qui pensent que t’es un puceau, ou bien des gens qui pensent que comme t’es un pédé, c’est que t’aimes ça, et qui au bout de trois mois en mer se disent qu’un trou est un trou et qui te chopent a quatre pour te sauter sans ton consentement ? » Tu parles cru, mais t’as pas envie que ça arrive sur ce bateau-là. T’as pas envie qu’le gamin il fasse les frais de la frustration sexuelle d’une bande de dépravés. T’as pas envie de te retrouver à devoir fouetter de bons marins juste parce qu’ils savent pas tenir leur queue. « Invente-toi une amoureuse et dis que tu pirates pour payer sa dot. Invente un truc. Mais va pas raconter que tu peux pas la lever quand tu vois une pute. »
Et malgré tout, il fait le malin, le petit con. Ouais, tu lui causes, et il te cause, ouais. Il parle avec l’équipage. Tu roules des yeux, et tu bois une nouvelle gorgée de rhum. « Tu sais qu’c’est pas ce que j’voulais dire. Avec moi au contraire vaut mieux que tu causes pas trop. Sinon ils vont penser que tu fais d’la lèche. Et t’as pas envie qu’on pense ca de toi, Gamin. » Et quand il te redemande une gorgée de rhum, tu la lui cèdes. Faut qu’il apprenne à boire, ce petiot. Et apparemment faut qu’il apprenne encore plein de trucs sur la vie, aussi. Tu soupires, en pensant que tu vas te retrouver responsable d’un chiot dont t’as pas voulu. Mais qu’est-ce que t’y peux ? T’as un gros cœur mou, et t’es infoutu de laisser un chiot a l’abandon.

Tu le vois bien, que ta solution lui convient pas, au gamin. Mais tu insistes pas. Si toi tu serres les dents quand tu tronches une pute, il peut bien en faire autant. Et s'il pence à sucer des bites pendant qu'il saute des dames, c'est lui que ça regarde, toi tu t'en fous. T'es pas du genre à penser que les pédés vont en enfer. Tu penses juste que c'est un drôle de choix. Mais tu peux pas leur reprocher de pas aimer les femmes. Pas alors que t'es pas un grand fan non plus.

Il s'est grave rembruni, ton petit mousse, et tu observes son visage qui se fait de plus en plus grave. C'est complètement crétin de consoler quelqu'un parce qu'il va devoir aller culbuter une professionnelle. Mais c'est c'que tu t'retrouves à faire. Morgan Reed, le cul dans le sable, vient filer l'accolade à la nouvelle recrue. Même toi tu trouves ça risible. T'es pas tactile, t'es maladroit avec les gens. Mais c'gamin là, il a l'air tellement perdu que tu peux pas t'empêcher de lui tapoter l'épaule dans un geste que t'espères réconfortant. Puis tu récupères ta main, avec la tête d'un type qui sait plus trop quoi faire de lui.

« C'est c'que j'préfère. Les lits dans les bordels. Ils sont vraiment confortables. Ca vaut presque le coup. » Et te v'là à déballer que toi non plus, le sexe, c'pas ton truc. Mais pourquoi tu lui causes, à c'gamin ? Pourquoi tu lui racontes ta vue, hein ? Qu'est-ce qu'il a de particulier ? Il est même pas particulièrement beau, ou drôle, ou... Non. Il est banal, normal, et... Il a un air de chiot perdu, et tu te rends compte que t'es incapable d'y résister, et que t'as envie d'en prendre soin, de c'chiot là.

« T'en as pas encore, de réputation. Donc ça devrait aller vite, de l' ''arranger''. » Tu restes silencieux un petit instant, puis tu te tournes vers lui. Et t'ajoutes, un peu trop vite pour que ta maladresse et ton inconfort ne transparaissent pas. « Et j'te juge pas. Et t'es pas obligé de l'faire hein. J'suis pas en train de te dire que c'est ce qu'il faut faire. J'te parle juste de trucs dont j'ai été témoin. Et j'pense que c'est mon boulot de t'mettre en garde que ça peut arriver. D'autant plus parce que t'as une jolie petite gueule de minet, et que t'es pas encore très... Epais. »

T’es loin de te douter des fantasmes que tu fais naitre dans la tete du gamin, a dire que les femmes, t’aimes pas trop ca non plus. T’es loin de te douter que le petiot est pédé, et pour etre honnete, tu n’y penses pas a ces choses la. Tu te dis tout betement que les gens sont comme ils sont et tu cherches pas a savoir s’ils préferent l’amour viril ou bien la douceur féminine. Et tu t’en fous au final. Ca te regarde pas ce que tes gars foutent avec leur queue ou leur cul, tant qu’ils te demandent pas de participer… Manquerait plus que ca tiens. Et puis quoi encore ?

Tu vois Kidd rougir comme une pucelle quand tu lui dis qu’il a une bonne tete, et toi ca t’fait ricaner doucement. Il a visiblement  pas l’habitude qu’on le complimente sur son apparence. Mais t’as pas l’habitude de rassurer les gens sur le fait que leur physique est parfaitement acceptable. Et t’as pas non plus l'habitude de les voir réagir aussi vivement. Mais soit. Après tout l'gamin est puceau, il te l'a dit. Pas étonnant qu'il soit pas trop habitué aux choses de la vie et de la drague et tout l'baratin qui va avec.

Le v'là qui te cause de son gabarit. Oh, t'as aucun doute quant au fait qu'il va s'épaissir le petiot. Déjà t'en as fait ta mission : muscler un peu ces bras maigrelets. Après, la taille... Bah ma foi, ça s'change pas, ça. Il est p'tit, ouais, mais pas maladivement. S'il garde c'te taille là, il s'en sortira pas trop mal dans la vie. Et puis tu l'as déjà vu se battre et tu sais que ce qui lui manque en force, il le compense avec son agilité et sa vitesse. Il se débrouille bien au sabre, et tu te dis qu'un jour, pourquoi pas, t'aimerais bien croiser amicalement l'fer avec lui.

« Bah. J'sais pas si le mieux c'est d'avoir un ptit gars tout cabossé comme père, ou bien de pas l'connaître, son père. » Toi tu l'connais pas, ton pater. T'as juste connu le Père supérieur. Celui qui maniait l'martinet avec un peu trop de satisfaction à ton goût. C'est pour ça que tu t'es barré et que t'es devenu un pirate. T'as voulu t'enfuir de cet environnement malsain et morbide. T'as encore de vieilles cicatrices dans le dos, des coups de cravache du Père Matthew, quand t'étais pas assez sage à son goût.

Et l'gamin, béni soit-il, il t'arrache à tes souvenirs glauques, et te ramène au moment présent. Tu lui adresses un vague sourire, l'ombre d'un sourire. T'es pas connu pour être l'mec le plus expansif du monde, et encore moins l'genre à distribuer des sourires à tout va. « J'ai déjà mangé, moi. C'est toujours l'premier truc que j'fais quand je débarque. J'crois que j'vais finir ma bouteille de courage et aller passer la nuit dans les bras d'une pute. T'as emmené assez d'sous pour te payer la nuit, toi ? »

Tu pensais pas te mettre à causer un jour de ton pater, ou du Père Matthew a quelqu’un. Oh certes, t’as pas encore parlé du religieux, mais vu combien tu babilles ce soir, ça risque d’arriver plus tôt que tard. N’importe quoi. T’es pas du genre causant normalement. Normalement tu fermes ta gueule et moins t’en dis, mieux tu t’portes. Qu’est-ce qu’il a, c’gamin-la, qui fait que tu lui causes sans même en avoir envie ? C’est même pas que t’as pitié de lui : c’est pas l’cas. Chacun sa merde, hein. Et chacun gère comme il veut. Tu te demandes du coup si t’as bien fait de lui donner tous tes ‘’bons’’ conseils. T’as ptet merdé, Mo. Ptetre que ce soir, il va lui arriver une tuile parce que c’est toi qui lui as dit d’aller tremper son biscuit. Manquerait plus que ça.
 
« C’t’un con, ton père, s’il t’a dit une connerie pareille. T’es pas minable, et je m’y connais en minables. T’es malin et débrouillard et si ton père a pas été foutu de réaliser ça, c’est que t’as pas perdu grand-chose à ne pas l’connaitre. » Et te re v’là en train de consoler du mousse. Mais t’as pas tort. Et tu dis pas ça pour flatter son égo d’gamin. Tu dis ça parce que tu penses sincèrement qu’il a un bon potentiel. Et que s’il s’en donne la peine, il peut faire de chouettes trucs. Mais tu l’as assez complimenté pour au moins six mois, là, alors tu fermes ta gueule, et tu en rajoutes pas.
 
… Trois pièces. Avec trois pièces, il veut la bouffe et la pute ? Ça fait un peu peu, tu réalises. Ou alors il va se trouver une pute pleine de maladies. Oh t’es pas naïf Morgan. Tu sais bien que la plupart des putes ont quelque chose. Mais enfin. Celles des bordels sont quand même globalement plus saines que celles qu’on ramasse dans la rue. T’as toujours préféré payer un peu plus et passer la nuit dans les bras d’une femme en bonne santé plutôt que de te faire sucer dans une allée par une prostituée malade. Tu frémis a l’idée, et tu plisses les yeux quand l’gamin dit qu’un quignon d’pain ça lui suffira. Tu soupires, et tu fouilles dans ta bourse après t’être levé souplement.
 
« Hors de question, Kidd. J’veux que tu t’épaississes un peu. Et pour ça, faut qu’tu manges correctement. Pour une fois que t’as l’occasion de manger autre chose que d’la bouffe de bateau, tu vas m’faire le plaisir de prendre un vrai plat. Et une vraie pute, dans un bordel. Pas dans la rue. Et pas dans un bordel miteux. Manquerait plus qu’tu tombes malade. » Alors tu lui tends trois autres pièces. T’en as encore, toi, des sous. Et comme tu dépenses que rarement – c’est vrai, t’as pas d’famille, pas de belle à courtiser, et t’es pas matérialiste – ben les pièces, t’en as un peu en rab. Autant que l’petiot en profite. « Et tu refuses pas. Tu m’repayeras en services. Un par pièce d’or. Tiens. Prends. »
 
Et tu lui glisses les pièces dans la main.