Longue-vue à la main, Victoria scrutait l'horizon, accoudée à la mince limite de bois qui la séparait de l'immensité de l'océan. Voilà quelques jours qu'ils se trouvaient sur ce vaisseau avec pour mission de patrouiller dans cette zone où l'on avait relevé ces derniers temps une certaine activité de piraterie. Bien qu'il s'agissait probablement de l’œuvre de bandes isolées, il était du devoir de la Marine de mettre fin à leurs agissements. Et comme à son habitude lorsqu'elle en avait l'occasion, Victoria se porta immédiatement volontaire pour cette mission.

Malheureusement pour ses rêves, nobles, de justice, ainsi que pour ses rêves, moins nobles, de gloire, la pêche était, jusqu'à présent, plutôt médiocre. À part, durant la journée d'hier, un navire pirate qui avait eu le malheur de croiser leur route et n'avait représenté aucune menace. Ils avaient dû toutefois se contenter de ne mettre la main que sur un jeune matelot qui avait saisi la première chance qui s'était présentée à lui pour prendre ses jambes à son cou. Qu'à cela ne tienne, ils lui trouveraient bien une utilité, froussard comme il semblait l'être, il finirait bien par cracher tout ce qu'il savait. Et cela faisait toujours une personne de moins qui aurait l'occasion de gonfler les rangs d'un navire pirate.

Aujourd'hui, comme souvent, Victoria ne supporta pas bien longtemps de rester cloîtrée dans sa cabine. Mais elle abaissa bien vite sa longue-vue, constatant qu'à part de larges nuages noirs et des vagues se faisant plus violentes, il allait probablement s’agir d'une journée banale. Elle soupira. Se retournant, son regard se posa sur Maximilienne Grevy, le Maître qui lui avait été affectée pour cette mission, qui remontait de la cale. La Capitaine la rejoignit en quelques pas et la salua.

"Officier Grévy. Comment se porte notre homme ?"

"Il va parfaitement bien alors, j'imagine."

Ironique, évidemment. Se retrouver dans de telles conditions plusieurs heures, voir plusieurs jours durant était loin d'être agréable. Mais si cela pouvait lui faire passer à jamais le goût de la piraterie, et surtout si cela permettait de prévenir quelques actions insensées dont ces bandits avaient le secret, alors cela ne dérangeait pas Victoria de le laisser en compagnie de toutes les bestioles qui pouvaient traîner au fond de la cale.

"Cela le décidera peut-être à nous indiquer où trouver ses compagnons."

Après un dernier regard vers le sombre horizon, Victoria reporta son attention sur son interlocutrice à la suite des paroles de celle-ci.

"Bien sûr, si vous voulez bien me suivre."

La tête haute et répondant aux saluts des marins aux prises avec les tâches auxquelles ils étaient affectés, Victoria se dirigea vers la cabine qu'elle avait été si pressée de quitter. Elle referma la porte derrière elle après avoir invité Maximilienne à entrer. Repliant la large carte maritime qui encombrait son bureau la jeune femme s'assit, et indiqua à l'Officier de faire de même.

"Je vous écoute."

Une vague vint se briser sur la coque du navire tandis que Victoria écoutait attentivement les paroles de son officier, les yeux plongés dans ceux de Maximilienne. La Capitaine grimaça à l'évocation du peu de navires pirates qui avaient croisé leur route. Ou, en tout cas, qui semblaient leur avoir étrangement échappé, aux dires du Maître. C'était une situation qui ne plaisait absolument pas à Victoria qui aimait tant être efficace... et donc ne pas partir en mer pour rien qui ne serait utile à sa carrière.

À la fin du discours de l'officier, Victoria croisa les bras.

"Je vois."

Elle resta ensuite silencieuse un instant. Cela ne l'étonnait pas. La situation actuelle de la Marine l’écœurait. Comment pouvait-on fricoter avec ces bandits ? Voilà qui la motivait d'autant plus à briller et à imposer ses idéaux de justice.

"Je vous remercie de m'avoir prévenue. Je vous autorise à l'interroger. Toutefois, si vous le voulez bien, nous allons nous occuper de cela dès maintenant et je vous accompagne."

Victoria n'attendit aucune approbation et se leva immédiatement. Elle n'en avait pas besoin. Ouvrant la porte elle invita Maximilienne à quitter la pièce avant de la suivre. Son regard s'arrêta un instant sur le ciel grisâtre avant de se poser sur la vigie qui flirtait avec les nuages. Et d'un cri à l'éclatante autorité...

"ALVAREZ, AU RAPPORT."

"J'ai bien peur qu'il ait bien plus de mal à vous répondre si les requins le dévorent, Officier. Et puis, vous ne voudriez pas devoir repasser une journée à recruter de nouveaux marins au port, n'est-ce pas ?"

Après avoir laissé Maximilienne faire ce qu'elle voulait et avait à faire, à savoir gueuler histoire de ne pas perdre les bonnes habitudes, Victoria avait finalement pris la parole après avoir ordonné d'un regard sombre aux marins qui n'avaient rien de mieux à faire de vite se trouver une occupation plus constructive. La Capitaine porta finalement son attention sur Alvarez et son regard croisa celui du marin.

"Ce que le Maître Grévy essayait de vous dire, c'est qu'il semblerait que le manque de pirates ayant croisé notre route soit en partie dû à un manque de vigilance de votre part. Et nous aimerions bien savoir si ce manque de vigilance est, ou non, volontaire. Comprenez bien que vos explications devront être plus que satisfaisantes, puisque je suis bien plus encline à croire l'Officier Grévy que vous."

Victoria n'avait pas caché son irritation lorsqu'elle en vint à parler du peu de navires qu'ils avaient croisé. Et, bien que ses paroles étaient moins violentes que celles de Maximilienne, elle s'était assurée que son ton ferme dissuaderait le pauvre Alvarez de leur raconter des conneries. Ah, et d'ailleurs.

"Ceci dit, vous sembliez déjà prêt à nous confier quelque chose, alors continuez. Mais assurez-vous de ne pas trop abuser de ma patience, ou notre cher ami dans la cale pourrait en effet avoir bien vite de la compagnie."

"Si nous passions à côté du Royal Fortune, ce n'est pas des boulets qu'on devrait leur envoyer mais la plupart d'entre vous. J'ai l'impression que beaucoup ont raté leur vocation, ici."

Victoria ne cachait plus son irritation et porta une main à son front, essayant de refréner le mal de tête qu'elle sentait grandir. La conversation était allée un peu vite à son goût, et ce même avec toute l'attention que la Capitaine y avait pourtant porté. Soupirant, elle rouvrit les yeux et reporta son attention sur le Maître.

"Grévy, je vous avouerai que je n'y comprends pas grand chose. Vous écoutant, nous sommes venus nous entretenir avec Alverez qui au final semble très heureux de nous parler de Fisher. Je veux bien que vous alliez vous occuper de lui, mais je me demande quel nom il va à son tour nous donner. Est-ce que d'ici la fin de la journée je vais découvrir que la totalité de mon équipage n'est qu'un ramassis de feignasses et de bandits qui n'est même pas foutu de s'entendre ?"

Ce qui ne l'étonnerait pas mais ne lui ferait pas non plus franchement plaisir. Victoria leva les yeux au ciel et s'adressa de nouveau à Maximilienne.

"Bien, allez interroger qui il vous plaira, j'en ai personnellement entendu assez pour l'instant. Lorsque vous aurez terminé, assurez-vous qu'ils me nettoient tous ce foutu pont, j'imagine qu'ils devaient tous faire semblant de travailler depuis le début de la journée. Vous viendrez me voir pour me rapporter les quelques personnes encore dignes de confiance ici. En attendant, je vais voir comment se porte notre ami au fond de la cale."

Sans un mot de plus, Victoria fila donc en direction de la cale, excédée.

Alors que Victoria s'apprêtait à descendre rendre visite à leur prisonnier, elle fût coupée dans son élan par Maximilienne qui, vraisemblablement, n'avait pas trouvé un meilleur emplacement pour gueuler sur le pauvre Garcia. La Capitaine plaqua une main sur son visage, irritée.

"Vous n'allez pas vous y mettre non plus, pitié."

La jeune femme commençait sérieusement à se poser des questions relatives à l'intégrité mentale de la quasi-totalité de son équipage et elle se demandait même comment ils avaient pu naviguer aussi longtemps sans aucun problème. Victoria posa un regard sombre sur l'Officier.

"Grévy, il me semblait vous avoir donné des ordres."

En quelques minutes, il était clair que sa patience venait d'être mise à rude épreuve. Mais elle n'était désormais plus à ça près. Croisant les bras, Victoria ne lâcha pas Maximilienne des yeux.

"Je vous rappelle que je suis ici seul maître à bord. Alors, donnez-moi une seule bonne raison de ne pas descendre dans cette cale. Le temps n'en est pas une, tant il peut se passer beaucoup de choses dans la tête d'un homme en seulement dix minutes."

"Ne vous en faites pas pour ça."

Assurée de la présence du sabre qui était attaché à sa ceinture, Victoria n'avait pas de soucis à se faire de ce côté là. Lorsque Maximilienne se fût enfin écartée pour lui libérer le passage, la Capitaine ne resta pas plus longtemps plantée là et s’éclipsa bien vite dans la cale qu'elle souhaitait atteindre depuis un moment maintenant.

"Eh bien, eh bien..."

Malheureusement pour Victoria, il était désormais clair que leur prisonnier n'allait pas lui être présentement très utile. Pas parce qu'il ne le voulait pas, mais vraisemblablement parce qu'il ne le pourrait pas. Le pauvre homme était dans un triste état, et la Capitaine doutait que les vagues secouant le navire en soient les seules responsables. Silencieuse, Victoria s'apprêtait à déjà revenir sur ces pas lorsqu'une secousse, certainement l’œuvre d'une vague, manqua de lui faire perdre l'équilibre. Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la porte, la voix de Maximilienne lui parvint. La jeune femme acheva son geste et se retrouva de nouveau sur le pont où le vent se faisait plus violent.

"Qu'ils nettoient, au moins ça se rincera tout seul."

Victoria marqua une pause le temps de quitter les escaliers.

"Plus important, Grévy, pouvez-vous m'expliquer l'état dans lequel se trouve notre homme ? Aurait-il essayé de vous mordre ?"

"Je vois."

Le visage de Victoria s'assombrit et la jeune femme resta un moment silencieuse, les yeux plantés dans ceux de l'Officier, alors que le temps se faisait de plus en plus instable. Elle brisa finalement le silence.

"Eh bien dans ce cas, Grévy, vous me ferez le plaisir d'aller aider vos camarades à nettoyer le pont. Nous repartons pour Santa Rosalia dès ce soir, et nous rediscuterons de cette affaire dès notre retour au port."

Après avoir attendu le temps qu'il fallait pour s'assurer que l'Officier n'allait pas se contenter de refiler la tâche à quelqu'un, Victoria retourna à sa cabine dont elle claqua la porte.