[Terminé] Better play your cards right [Victoria]

Le Maître faisait les cent pas sur le quai. Si elle n'avait pas eu d'amour propre, elle se serait effondrée une fois redescendue sur la terre ferme ; elle avait oublié à quel point elle détestait de faire le ménage, surtout quand il s'agissait de rallier le port le jour même et donc qu'elle pouvait aller se faire mettre pour avoir une vraie pause entre deux.

Alvarez qui descendait une partie du stock d'armes du navire lui fit remarquer au passage qu'elle avait une sale tête et Max l'envoya poliment se faire enfiler à défaut de pouvoir le balancer à l'eau : c'est qu'elle attendait quelqu'un, là. À vrai dire, elle ne savait plus exactement pourquoi le Capitaine lui avait demandé de l'attendre, mais elle savait qu'elle ne tenait pas particulièrement à s'en rappeler.

Le retour à Santa Rosalia, malgré la tempête, se déroula sans encombre. D'autant plus que la totalité de l'équipage était occupée à laver le pont malgré vent et pluie, comme l'avait ordonné Victoria. Ils rallièrent même l'île plus vite qu'elle ne l'avait pensé. Après avoir terminé de coordonner ses hommes afin d'effectuer le débarquement le plus vite possible, la Capitaine posa enfin un pied sur le quai. Quai où l'attendait, comme convenu, Maximilienne. Victoria la rejoignit et se présenta face à elle.

"Beau travail sur le pont, Grévy, je ne pensais pas vos compétences si multiples."

Retenant un sourire, Victoria poursuivit, puisque là n'était pas le sujet.

"Bien, allez chercher notre prisonnier et ramenez-le ici, le temps que j'informe le quartier général de notre retour. Nous le livrerons à nos camarades qui sauront quoi en faire, puis nous continuerons notre petite discussion à son propos afin que je complète le rapport que je ferai au Commodore."

La vague tentation de mettre un pain à la Capitaine effleura l'esprit du Maître quand celle-ci vint la complimenter sur le travail réalisé sur le pont, mais elle s'en tint à un grand sourire hypocrite quand cette dernière la fit remonter à bord pour chercher leur pirate dans la cale. Elle s'exécuta en silence et ne rouvrit la bouche qu'une fois seule à seule avec le prisonnier. Ce dernier avait eu le temps de se réveiller, et le temps qu'elle le détache de ses chaînes, Max eut le temps de lui faire un topo :

- Ça m'arrangerait que t'aies perdu la mémoire. En plus ta sœur elle va être toute seule là, ce serait dommage qu'il lui arrive quelque chose pendant ta détention, hm ? Ayant saisi l'avertissement à peine déguisé, le prisonnier tenta d'articuler le mot « salope », mais il était encore légèrement sonné par son mauvais traitement ainsi que l'agitation de la mer, alors il demeura muet jusqu'à ce qu'ils fussent de retour sur le quai. Vinter était déjà de retour du quartier général, Max laissa le captif se casser la gueule à ses pieds et dit avec un détachement forcé :

- Je propose qu'on n'y passe pas des heures.

Victoria revint bien vite de son escapade au quartier général de la Marine, où elle avait également précisé qu'ils ramenaient un prisonnier, histoire que les officiers qui seraient chargés de le garder le temps que l'on décide de son sort se préparent à son arrivé. Maximilienne revint avec le prisonnier peu de temps après que Victoria fût elle-même de retour. Elle préféra royalement ignorer l'attitude de l'Officier.

"Le temps que nous y passerons dépendra de vous. Suivez-moi."

Et il s'agissait de suivre Victoria jusqu'à l'endroit où les attendaient les officiers qui allaient désormais s'occuper de leur homme. Une fois le prisonnier remis entre leurs mains, la Capitaine se dirigea vers la pièce qui lui était ici attitrée et dans laquelle elles pourraient discuter dans de bonnes conditions. Une fois entrées, Victoria s'assit derrière son large bureau et invita l'Officier à l'imiter. Après avoir trouvé un papier et y avoir griffonné quelques mots à la plume, elle reporta son attention sur Maximilienne.

"Bien, Grévy. Nous en étions restées au moment où je vous demandais ce qu'avait bien pu vous faire cet homme pour mériter de se retrouver dans un tel état."

C'était loin d'être la première fois que l'Officier était amenée à s'entretenir avec un haut gradé dans ces locaux et d'une manière générale, c'était loin d'être son endroit préféré pour passer une soirée au port. En voyant le Capitaine Vinter dégainer une feuille et une plume, Max comprit que cette fois-ci ne ferait pas exception à la règle. L'air un brin contrarié, Max prit une longue inspiration et déclara :

- Vous pouvez écrire qu'il s'est permis d'insulter mon géniteur. Vous êtes bien placée pour savoir que ce genre de sujet ne prête pas à la tolérance... Elle aurait pu se passer de la référence sous-jacente à l'Amiral James Vinter et au rôle que celui-ci avait joué dans la carrière de sa petite fille, mais parfois la tentation était plus forte que son sens rationnel, tout comme quand elle se retrouvait face à un pirate qui en savait trop. Elle ajouta, luttant un peu contre elle-même pour ne pas tomber dans la provocation la plus grossière :

- Et je vous garantis que notre homme sera ravi de vous donner toutes les informations pertinentes qu'il est en mesure de vous donner si vous le menacez de le laisser à nouveau seul en ma compagnie.

Victoria portait à l'écrit le rapport qu'elle avait en tête au rythme des crissements de sa plume, n'oubliant bien évidemment pas de tendre une oreille attentive aux paroles de Maximilienne. La Capitaine retint un spasme de rage lors de la si peu subtile évocation de son grand-père et fit autant que possible mine de n'avoir rien entendu de cette partie ou presque. Mais la jeune femme s'en souviendrait, comme à chaque fois qu'on le sous-entendait face à elle. Elle ne répondit de ce fait qu'aux dernières paroles de l'Officier.

"Je tâcherai de m'en souvenir."

Victoria resta ensuite silencieuse le temps de noircir un peu plus sa feuille de son écriture bouclée. Ses yeux quittèrent finalement le papier et son regard croisa celui de Maximilienne alors que la Capitaine se laissait tomber au fond de son fauteuil.

"Mais dites-moi, Grévy, est-ce que beaucoup de personnes ont insulté votre géniteur par le passé ?"

L'officier Grévy ne regardait pas ce que le Capitaine écrivait, la fenêtre était beaucoup plus intéressante. Mais elle dévisagea de nouveau Victoria quand celle-ci lui posa ce qui avait tout l'air d'une deuxième question. Rhétorique, la question. Le Maître leva les yeux au plafond, mais qu'est-ce qu'elle attendait d'elle au juste ?

- Je suppose que sa réputation est aussi mauvaise que répandue... Elle se doutait que les réponses évasives ne plairaient pas beaucoup. Les mains sur le bureau, elle inclina la tête. Si Max ne possédait pas d'origines britanniques, elle savait néanmoins faire preuve d'ironie. Seriez-vous en train d'insinuer que je suis trop à cheval sur les principes des dix commandements ?

Victoria dévisagea l'Officier le temps que celle-ci formule sa réponse. Pour tout dire, Victoria n'attendait strictement rien de cet entretient, tant elle se doutait bien que Maximilienne ne lui offrirait jamais sa propre tête sur un plateau d'argent, quand bien même cela arrangerait bien la Capitaine. La jeune femme croisa les bras.

"J'ai bien peur de ne pas être assez pieuse pour apprécier votre respect des préceptes de Dieu."

Qu'Il lui pardonne s'Il l'entendait. Elle parcourut machinalement du regard les lignes qui se trouvaient déjà encrées sur sa feuille avant de reporter son attention sur son interlocutrice.

"Ceci étant dit, je n'insinue rien, Grévy. L'idée m'est simplement venue que l'état de notre homme n'était peut-être pas seulement dû à son manque de respect. Après tout, vous ne semblez pas en être à votre coup d'essai."

Victoria venait de reprendre sa plume et d'achever de marquer le papier de sa signature. Elle le plia soigneusement puis leva de nouveau les yeux vers Maximilienne.

"N'est-ce pas ?"

Presque rassurée que Vinter ne soit manifestement pas décidée à coucher sur papier la suite de leur conversation, Max fut néanmoins forcée de constater que le Capitaine avait d'autres raisons de soupçonner sa conduite parfois peu académique. Et elle insistait en plus. C'est avec un sourire nerveux que le Maître répliqua :

- Si vous écoutiez tout ce qui se dit sur moi, vous sauriez également que j'ai couché avec la moitié de notre équipage, mousses y compris, que je suis la sixième fille illégitime de Barbe Noire, et qu'en réalité je suis un homme. Il se trouve par ailleurs que comparée à vous je suis relativement épargnée... Elle n'allait pas rentrer dans les détails et lui citer les surnoms qu'ils lui avaient trouvé le matin même lors de la sanction collective, car son casier n'était pas vierge dans cette affaire-là. Mais je ne vous l'apprends pas, après tout c'est le lot du sexe faible. Elle dit cela avec une fatalité décontractée, se redressa sur son siège et ajouta sur une autre note :

- Alors je me demande bien en quoi un ou deux prisonniers amochés pourraient remettre en cause mes compétences, si, en dépit de tout ce que je viens de vous dire, je parviens toujours à remplir mes fonctions.

Victoria ne pu retenir un sourire à l'évocation de sa très certaine réputation. Il ne s'agissait pas là de quelque chose qu'elle ignorait, tant elle avait été frappée par les médisances dès sa prise de fonction. Femme et pistonnée, cela n'aidait évidemment pas, alors si en plus elle se sentait justicière et n'était pas radine sur les sanctions, vu l'état d'esprit actuel de la Marine il était clair qu'il devait s'en dire beaucoup sur son compte.

"J'espère au moins qu'ils font preuve d'imagination."

La Capitaine resta silencieuse quelques instants après la fin du discours de Maximilienne. Cet entretient, s'il continuait, ne lui apporterait rien de plus en l'état. Elle s'occuperait elle-même de tirer tout ça au clair d'ici sa prochaine collaboration avec l'officier.

"Vous pouvez remplir vos fonctions comme vous l'entendez dans toute autre circonstance, mais c'est un comportement que, moi, je ne tolérerai pas. Tâchez de vous en souvenir la prochaine fois que vous serez sous mon commandement, Grévy."

Elle se leva finalement, son rapport dans les mains, et le reste dans sa tête, prête à s'entretenir avec le Commodore.

"Sur ce, nous allons en rester là pour l'instant."

Victoria invita l'Officier à sortir de la pièce, puis l'imita.

"Vous connaissez le chemin."

La Capitaine la salua solennellement, par respect protocolaire, puis s'en alla sans un mot de plus retrouver son supérieur.

PNJ : Matelot de la Marine.

Les ordres du Vice-Amiral avaient été clairs. Le jeune homme pressa le pas dans les couloirs, alors que les autres s'empressaient : l'information avait fait le tour de la base très rapidement. Marchant machinalement vers le bureau du capitaine Vinter, il manqua de se heurter à Maître Grévy au passage, mais se mit au garde à vous dès qu'il put apercevoir le capitaine.

« Capitaine Vinter. Le Vice-Amiral Rainworth m'envoie vous informer qu'un équipage de pirates a libéré les quinze condamnés à mort qui devaient être exécutés aujourd'hui sur la place publique. C'est le chaos en ville et vous devez vous y rendre sur le champ avec un maximum d'effectifs. »

Maximilienne écouta l'avertissement du Capitaine comme si elle avait déjà connu ce texte par cœur ; c'est qu'elle l'avait sentie venir. En d'autres termes, ça ne changerait rien, sinon que celle-ci l'avait dans le collimateur et que personne n'écouterait une femme de toute façon. Le Maître s'abstint néanmoins de déclarer que tout ça ne lui faisait pas peur, elle conclut donc sur un :

- Entendu. Et se leva ensuite pour quitter la pièce, puis manqua de se faire rentrer dedans par un matelot pressé, ce qui la fit salement regretter la présence du Capitaine non loin d'eux car le cas contraire elle se serait fait une joie de le remettre à sa place. Elle aurait préféré ne pas entendre le discours que ce dernier tient à Vinter, mais au vu des circonstances, le reste de sa discipline la força à ne pas se tailler comme une voleuse.

Victoria venait donc seulement de se mettre en route pour le bureau du Commodore lorsque son élan fût immédiatement stoppé par l'arrivée d'un matelot pressé. La Capitaine lui rendit son salut et écouta attentivement ce qu'il avait à lui dire, sachant bien qu'un homme pressé de s'entretenir avec elle était souvent synonyme de problèmes, de mission, et donc de possibilité d'être remarquée par la hiérarchie. Et en effet, c'était bel et bien le bordel.

"Merci de m'avoir prévenue, je m'y rends immédiatement. Grévy, allez prévenir notre équipage et tous les hommes que vous croiserez sur votre route, puis rejoignez-moi aussi rapidement que possible."

Et sur ce, Victoria se mit à courir pour rejoindre la ville, prête à dégainer son sabre.