Elle ne savait pas elle même comment elle s'était retrouvée là, tard dans la nuit – ou tôt dans la matinée, question de point de vue – à déambuler dans les rues sinistres, parmi les abris de fortune.

Lara, comme à son habitude, avait quitté la taverne depuis peu, ses derniers efforts ayant consisté à expulser les derniers loubards ivres avec peine. Ses jambes avaient naturellement pris le sentier maintes fois emprunté pour regagner son... taudis. La minuscule cabane démunie dans laquelle elle tentait néanmoins de subsister. Cependant, son corps se détourna du lieu et continua d'avancer dans une tout autre direction inconnue et non préméditée, comme poussé par l'inestinguible soif d'évasion de la petite Lorelei.
Ses longs cheveux flamboyants étaient, comme à l'acoutumée, rassemblés en une seule et même traîne qui s'agitait au gré du vent tandis qu'elle se frayait son chemin plus prestement, envahie par une montée d'adrenaline. Elle se mit à courir, faisant claquer sur le sol dur ses misérables sandalettes usées, sans savoir où cela la menerait, tout ce qu'elle savait c'est qu'elle irait loin, loin de son lot quotidien qui pesait sur ses épaules frêles. Elle haletait à présent, à grandes enjambées, soudainement englouttie dans son envie de fuir, soulevant par moments la tunique légère qui battait ses cuisses nues, elle ne remarqua pas les quelques yeux curieux qui la suivaient dans son sillage, ni les éclats de voix qu'on percevait ici et là, dans l'obscurité de l'île qui ne dormait jamais vraiment. Le cœur battant à tout rompre, elle continuait de s'eloigner comme une voleuse, le rouge aux joues et les yeux embués.
Elle ralentit alors l'allure, au croisement de chemins qu'elle ne semblait pas reconnaître ; elle reprit son souffle, désorientée, et en passant les mains sur son visage, ferma les yeux en écoutant le battement de son coeur dans la poitrine qui se fit de plus en plus calme. Cependant, elle percevait également tout autre chose : des pas qui se rapprochaient et qui la firent se retourner, alerte, saisissant immédiatement la lame froide du poignard dans sa paume, camoufflé par sa manche bouffante. Elle attendit, la machoire serrée, regrettant désormais son attitude imprudente.

Le soleil se lèverait d'ici un peu plus d'une heure. J'avais le temps de faire quelques petits vols, et de me planquer, avant qu'il n'y ait trop de monde qui déambule dans les rues. J'habitais très peu loin de l'île. Sur mon bateau, pour être franc, baptisé The HellHouse. Chaque fois que je me rendais sur Tortuga, je prenais une barque ou usait de ma compétence à savoir la nage, pas offerte à tout le monde. Ce soir n'avait pas fait exception, et, après cinq minutes de nage j'arrivais à la plage et surgit de l'eau soudainement. Torse nu, comme toujours, j'étais pieds nus et portais seulement un pantalon marron clair, fort usé. Mes cheveux étaient mouillés en surface mais étaient trop emmêlés pour que l'eau ne pénètre réellement. Des dreadlocks se formaient peu à peu. J'avais cependant une tresse vers l'avant. Mon regard ambré donnait froid dans le dos. Une allure presque sauvage s'apparentait à mon physique. Non loin de la plage se trouvait une taverne où j'avais l'habitude de me rendre. Là, Ernesto Zapata, y travaillait. J'avais eu l'occasion de le rencontrer, il y a peu. Sa collègue aussi. Tout deux avaient une chevelure flamboyante. Les reconnaître serait une chose aisée. La taverne était fermée. Tant pis, je n'allais pouvoir leur voler une bouteille de rhum ce soir. Je décidais de parcourir l'île à la recherche de quelque chose d'intéressant à tirer. Je longeais donc la côte océanique avant de bifurquer dans les rues qui s'enfonçaient dans la ville de l'île. Je marchais bien un heure. Les six heures approchaient. Certains marchands étaient déjà éveillés, et n'allaient pas tarder à ouvrir leurs étalages. J'avais faim, ça tombait bien. Mon petit déjeuner allait être servi. En attendant, il allait falloir m'occuper. J'aperçus entre deux boutiques une petite impasse large d'à peu près deux mètres. Sans plus attendre, j'entrepris une petite course, avant de sauter sur un mur de la ruelle, puis sur celui d'en face, et encore le premier, avant d'atterrir de nouveau de l'autre côté, mais cette fois-ci, sur le toit. Je m'y cramponnais pour ne pas glisser. Me courbant afin d'avoir un meilleur centre de gravité je touchais le toit d'au moins une main pour toujours avoir trois appuis au minimum. Je marchais ainsi quelques temps ; jusqu'à prendre confiance. Ceci fait, je courais par-ci par-là en restant au discret le mieux possible. J'avais donc quitté ma plage habituelle, et couru pendant plusieurs dizaines de minutes, traversant les quartiers, m'aventurant dans des zones de l'île que je ne connaissais pas sans me perdre pour autant. J'avais l'intention de me posticher au-dessus de cet étalage de fruits qui était en train de se préparer à l'ouverture pour en prendre quelques-uns. Seulement, en m'y rendant, je reconnus, en bas, sur la route pavée, la belle rousse qui travaillait dans la taverne à laquelle j'étais habitué. Quel régal pour les yeux, elle était habillé d'une manière originale mais légèrement aguichante. Un groupe d'homme ricanait après son passage ; elle reprenait son souffle, pendant qu'eux, la fixaient. Mon instinct me soufflait qu'il fallait surveiller ça. Presque comme une précognition. Je sentais que quelque chose se tramait. L'un des hommes sembla être mis au défi par ses congénères ; et, presque vexé, se mit en marche jusqu'à la demoiselle. Je me déplaçai alors jusqu'au toit le plus proche. Pendant mon déplacement, l'homme arriva jusqu'à Lara; qui se retourna, apeurée, et armée. Son arme était dissimulée dans sa manche mais sa garde et la mise du bras en avant était une évidence pure. L'homme, apparemment expérimenté, empoigna le bras de la miss avant de glisser d'un geste fluide sa main derrière la tête de la rousse, chopant une bonne partie de sa chevelure, comme pour la maîtriser. Je me laissai alors glisser hors du toit. J'arrivais tout juste à côté d'eux. D'un geste vers le haut à l'aide du bras je balayai celui de l'homme qui tenait le poignet de Lara. Profitant de ce contact, j'attrapai justement le sien. Mais je ne m'arrêtais pas là. Il avait l'autre bras, le droit, tendu vers l'avant. Son flanc était dégagé. Je dégainai donc rapidement la dague qui se trouvait rangée dans mon dos à hauteur des reins avant d'assaillir ses côtes sans trop de conviction. La lame s'y planta légèrement, obligeant l'homme à lâcher Lara par réflexe, mettant sa main sur sa blessure. L'agresseur se prit ensuite un coup de boule qui, à cause de son imposante taille, finit dans son nez; qui était à hauteur de mon front. Ceci le fit reculer par crainte. Perdant toute lucidité, il ne put rien faire contre ce middle kick que j'expédiai dans son bas-ventre pour le faire reculer de quelques pas. Ses acolytes commençaient à réagir ; ils dégainaient leurs lames et entamèrent une course dans notre direction. Moi, je me retournais vers la rouquine, espérant qu'elle me reconnaisse malgré les centaines de clients qu'elle ait dû voir.

- Eh, ça va, rien de cassé? J'espère que tu cours vite..

Dis-je, avant de la tenir par le poignet. Voyant l'arrivée de toute une ribambelle de méchants costauds, je préférais la tirer en entamant une course dans la direction opposée à la leur. Ma course était rapide et je sentais bien que la miss allait avoir du mal à me suivre. J'espérais simplement qu'on puisse d'une manière ou d'une autre les fuir.

- Et longtemps!

- Euh... je... bredouilla-t-elle, le menton levé vers l'homme, le client, qui l'avait probablement sauvé d'un moment très fâcheux.

Elle déglutit, sans pouvoir ajouter quoi que ce soit, entraînée dans une course folle afin d'échapper à la bande de costauds.
Il était arrivé là, comme par enchantement, leste et déterminé à libérer la jeune fille des pattes de l'homme qui s'était approché, et dont le visage reflétait clairement ses pensées obscènes. Elle ragea intérieurement, contre elle-même, de s'être aussi bêtement envoyée dans la gueule du loup, et ainsi d'avoir l'air d'une pauvre femme à secourir.
Elle n'eut pas le loisir de ruminer davantage, ses jambes frêles peinaient à garder l'allure de l'homme, du sauvageon qui l'avait attrapé comme une vulgaire poupée de chiffon. Le petit bout de femme se sentait ainsi malmenée au bout du bras puissant, retenue par une poigne de fer. Elle tenta d'accélérer le pas, alertée par les brutes qu'elle sentait gagner du terrain, dans son dos, mais ses enjambées se firent plus espacées, moins resignées. Elle se sentait prise entre deux feux ; elle essayait d'échapper à de joyeux malfrats, au bras de l'un des leurs ? Le sort que l'inconnu lui réservait serait-il bien pire ?
Toute la hargne et la détermination qu'elle déployait durant la journée, dans sa tâche de serveuse, semblaient s'être évaporées ; elle était réduite à fuir au lieu de lutter, comme elle le faisait continuellement. Mais que fuyait-elle véritablement ?

- Lâchez moi.. Laissez moi ici ! lança-t-elle, d'une voix qui se voulait convaincante, à bout de souffle.

L'inconnu ne paraissait pas avoir entendu, il accélérait même davantage, sans la laisser en reste, elle sentait la pression sur son poignet qui se fit plus insistante, elle fut comme tirée, projetée vers l'avant, sans pouvoir y échapper. Elle ignorait où ils couraient ainsi, ne distinguait même pas les lieux qu'ils traversaient, mais tout ceci eut l'effet escompté ; elle sentait les voix rauques et les menaces s'éloigner, se dissiper peu à peu.

- Lâchez moi ! répéta-t-elle avec plus de conviction.

Elle s'était à présent arrêtée, se dérobant hargneusement à l'étreinte exercée en se massant le poignet ; la lueur incandescante semblait s'être rallumée dans son regard, qu'elle garda fixé sur l'inconnu.

Les sourcils froncés, elle continuait d'examiner le jeune homme, qui lui aussi la dévisageait depuis un bon moment. Elle se détendit intérieurement, suite à sa remarque ; son visage ne fut plus aussi fermé, il ne consistuait visiblement pas une véritable menace. Un très léger sourire apparut sur ses lèvres fines, et s'évanouit aussitôt.

- Faudra pas le brailler à Ernesto dans ce cas, souffla-t-elle, amusée.

Ainsi donc, Lara aurait l'opportunité de le remercier, de manière plutôt simple et facile, mais cela semblait suffire à l'inconnu, qui n'attendait visiblement pas grand chose d'elle. Elle baissa les yeux, en triturant du bout des doigts le bas de sa tunique qui s'effilait. Lara se sentait mal à l'aise, elle s'était mise elle même dans le pétrin dont il l'avait tirée.
La fatigue, qui s'était effacée au profit de l'adrénaline, revint alors la cueillir, elle luttait pour rester debout, ses maigres muscles avaient été mis à rude épreuve tout au long de la journée. Elle se retourna alors, face au chemin qui les avait amenés jusque ici, n'éprouvant pas l'envie de rentrer cependant. Un long soupir de lassitude lui échappa, la jeune femme ne savait que faire à présent, isolée et perdue, avec pour toute compagnie, un jeune pirate – bien que charitable – assoiffé.