The rime of the ancient mariner

RP Libre, 3 personnes maximum.

Qui que vous soyez, voyageurs perdus sur les flots, tenez-le vous pour dit... Cette sombre brume qui s'étend sous ce ciel étoilé et cette lune livide ne compte pas vous laisser vous échapper de son étreinte. Mais rassurez-vous, vous n'êtes pas seuls perdus en son sein. Lui, cela fait des années qu'il y erre. Ses voiles déchirées, sa coque perforée, ses planches pourries, ses cadavres putrides. Tendez l'oreille, et dans le silence oppressant, peut-être entendrez-vous sa complainte. Grinçant, il dérive, il s'approche, porté par le vent qui traverse ses voiles. Mais vous ne le remarquerez véritablement que lorsqu'il heurtera votre coque de la sienne. Un large et vieux navire, abandonné et rongé par l'éternité, voilà de quoi il s'agit. Sur son pont silencieux ne respirent plus que la mort et le mystère du temps passé alors que son nom s'est depuis longtemps effacé. Que trouverez-vous derrière ses portes venues d'une autre décennie ?

Franchement je me demande encore ce que je fais sur ce rafiot. J'me suis posé dedans, un bon navire de la Marine, sous les ordres de Maximilienne Grévy et v'là qu'on est certainement paumé en pleine brume. Pour l'instant j'me tais, j'laisse le capitaine faire. Après tout je ne suis qu'un simple matelot, mais étrangement, j'ai les poils des bras qui dansent la gigue de " casse-toi de là ça craint du boudin" !

Tout est trop calme, j'm'en rends compte. Les autres sont là à s'agiter, mais mon instinct de survie me dit qu'il y a quelque chose d'autre. Alors j'me fous dans un coin et j'essaie de tendre l'oreille. Bon j'ai pas une super ouïe, mais j'me dis que je capterais bien quelqu'un chose... Si y'a quelqu'un! Bon je crois que je deviens paranoïaque, mais j'aime pas l'ambiance et j'aime pas rester coincé quelque part.

Alors j'me penche et j'écoute. Sur le coup, j'distingue pas grand-chose parce que voilà, y'a du raffut. Un type à côté de moi beugle au capitaine qu'il ne voit rien. Ouais... ça on avait compris. J'lui fais comprendre alors de la boucler et je continue d'écouter. Et là mes agneaux, c'est devenue encore plus glauque. Une sorte de complainte semblait provenir de la brume. On se serait cru en pleine histoire d'horreur, j'vous jure !

Au bout d'un moment, j'me suis dit que c'était pas possible, que je devenais barge, mais pourtant, plus je l'écoutais et plus il me semblait l'entendre. Ouais... J'commence à questionner les autres, mais ils semblent tous occuper à retrouver le cap. Bandes de cons... J'vais pour gueuler un bon coup, quand notre coque se fait heurter. Là, ça pue.

J'pense pas à réfléchir et j'me dirige vers l'origine de l'impact. Et là ce que j'ai vu m'a foutu les jetons. Un vieux et large navire, sentant la mort et la malédiction à plein nez. Ouais... A tous les coups, un squelette va me tomber sur la gueule pour me rouler une galoche ou un vieux sorcier tout ridé pour me jeter une malédiction sur mille générations. J'arrive même pas à voir le nom, tellement qu'il est rongé par le temps. J'suis trop chamboulé pour bouger, mais quelque chose me titille la colonne vertébrale. Une envie de monter dessus et d'me foutre les chocottes.

Je crois que j'ai un problème pour vouloir aller dessus. Mais bon j'vais récupérer du matériel et puis j'me dis qu'il y a p't'être un trésor. En ce moment, vue ma paye, j'en aurais bien besoin. Et puis faut croire que j'aime avoir peur. Mais j'ai pas envie de rester sur ce rafiot et puis j'ai la bougeotte. Alors j'commence à avancer vers notre chef et je demande : " J'aimerais la permission d'explorer ce vieux raf... navire." Bon je sais pas si j'aurais pu mettre un peu plus de formes, mais au moins j'pars pas comme un bourrin.

Cette fois-ci le maître ne fut pas la première à remarquer qu'un navire leur rentrait dedans. Il faut dire que la nuit et l'humidité ambiante n'aidaient pas à y voir très clair. Non loin de la barre quand l'impact se fit sentir, Maximilienne eut à peine le temps de se retourner pour constater la présence de l'ombre gigantesque qui semblait vouloir communiquer avec eux en se frottant affectueusement à leur coque qu'un matelot un peu plus vif que les autres se présenta à elle pour lui suggérer de passer à l'abordage.

Légèrement prise de court, Max quitta un instant MacBride du regard pour observer l'état du navire en question. C'est là qu'elle se dit que si tant est qu'il y avait encore quelqu'un qui respirait à bord de ce truc, il était vraiment à plaindre étant donné l'état misérable de son équipement et aller gratter un pourcentage de la cargaison ne s'avérerait pas plus difficile que de voler une bouteille à un manchot. Elle répondit finalement à la question du matelot, faisant signe par la même occasion aux autres hommes sous ses ordres de se préparer, sans attendre qu'un supérieur s'en mêle.

- Je suis certaine qu'ils n'ont pas payé leurs taxes depuis l'invention du pavillon noir... il s'agit pas d'avoir la permission MacBride, c'est notre devoir d'aller réquisitionner la différence ! Ce qui, dans le langage de la plupart des marines, signifiait qu'il y avait du fric à se faire. L'invitant à le suivre, Max dégaina son sabre et se dirigea vers l'endroit où leur rambarde lustrée effritait lentement celle du bâtiment désert et il lui suffit de l'enjamber pour se retrouver sur le pont de l'épave en devenir. Elle scruta les environs tandis que quelques matelots l'imitèrent, mais pour constater que personne n'était là pour leur faire goûter de la lame. Presque déçue, la blonde rangea la sienne.

- Vous autres, arrangez-vous pour qu'on ne dérive pas trop pendant qu'on inspecte la cale. MacBride, on s'y colle. Le groupe se sépara, entre autres pour tenir la barre délaissée du navire vide, tandis que le maître se dirigea vers la cale en question, en espérant que le matelot trop curieux l'instant d'avant n'ait pas soudain eu l'envie de se planquer.

Il y eut un choc. Le navire percuta quelque chose et la coque grinça violemment, réveillant le pirate assommé qui était étalé par terre au fond de la cale, incapable de se tenir debout. L'atmosphère était oppressante. Ses yeux s'ouvrirent lentement alors qu'il tentait de se re-familiariser avec la réalité. Il avait un terrible mal de crâne, sa vue se troublait, et il avait du mal à se rappeler ce qu'il s'était passé pour qu'il en arrive là. Les souvenirs morcelés lui revenaient au compte goutte, mais ce dont il était sûr, c'est qu'il n'était plus sur son navire et que son équipage était loin. Très loin.

Il avait par malheur croisé ce navire en pleine mer et, incapable de résister à l'appel de l'adrénaline, il s'était jeté dans la gueule du loup. Il ne se souvenait pas du reste. Maintenant, il errait avec le navire sans vraiment savoir où il allait. Il leva légèrement la tête, tentant de se relever en prenant appui sur ses avant-bras, et observa l'intérieur de la cale, encore à moitié conscient. Il ne réalisait pas bien qu'il avait de fortes chances de ne plus revoir la terre ferme, à bord de ce gigantesque navire fantôme.

Deux planches peut-être aussi vieilles qu'elle grincèrent sous les pieds de Maximilienne alors qu'une brise glacée vint souffler ce qui restait des voiles du vaisseau, les faisant presque passer pour de joyeux esprits dansants, accueillant leurs invités. Un volatile, invisible perché sur la vigie délabrée noyée dans la brume, acheva de les saluer, les gratifiant d'un cri aux relents surnaturels. Puis, un rat, drapé des ténèbres et du brouillard, charogne survivant parmi les charognes, heurta dans sa course aveugle et folle un vieux baril. Le pauvre objet tomba au sol dans un affreux vacarme dans ce silence de mort avant de venir lamentablement se briser aux pieds de Jim et Maximilienne, alors que la porte délabrée et entre-ouverte de la cale les invitait déjà à venir en explorer la noirceur.

Qu'ils viennent, ces malheureux, ces pauvres fous, goûter à tout ce désespoir. Ils ne sont pas seuls dans ce piège de bois. Qu'ils viennent rejoindre nos esprits damnés, voilà des années que nous attendons telle compagnie.

Maximilienne Grévy... Cette femme en a dans le pantalon. J'ai à peine eu le temps de lui demander d'aborder le navire, qu'elle me donne son accord et file la première. S'il n'y avait pas mon noble, ça ferait longtemps que je lui aurais fait la cour pour lui faire des gosses. Elle sort son sabre et file sur le pont, une vraie guerrière j'vous jure ! Un grand sourire de satisfaction se dessine sur mon maigre visage et je sors mon arme, histoire de. Mais au final, elle et moi sommes déçus. Rien, même pas un vieux squelette pour nous faire crier comme des fillettes de dix ans. Notre chef donne les ordres et commence à se diriger vers la cale.

Faut pas m'en demander plus pour la suivre. Elle la dit la poulette, plus joliment déguisé que moi, mais elle la dit : y'a du fric à s'faire. Et pour l'heure, j'vois pas trop s'qui pourrait nous tomber dessus. Elle avance, faisant grincer joyeusement deux planches, quand dans mon dos je sens une brise un peu trop fraîche à mon goût. Du style brise glaciale de la mort. A croire que le vaisseau voulait p't'être communiquer avec nous. Non mais là je délire je pense, emporter par l'ambiance macabre. Et pour couronner le tout, un piaf gueule. J'ai envie de sortir une réflexion sordide, mais pour l'instant j'ferme ma grande bouche, histoire de.

On va pour entrer dans la cale, quand un vieux baril s'écrase devant nous. " C'est un chouette message de bienvenue." Humour noir quand tu nous tiens. La porte de la cale est là, entre-ouverte, comme pour nous dire : "Oh oui ! Venez voir ce qu'il y a dedans ! Venez mourir de peur !" J'en viens encore à m'demander ce que je fous là, mais au fond, j'vais être honnête : j'm'éclate comme un gosse. Cela f'sait trop longtemps que j'avais pas eu la chair de poule. Maximilienne est bien décidée et avance. Du coup, j'lui emboîte le pas. On m'a toujours dit que ma curiosité me perdra. Ouais... Bah tant pis... On entre dans la cale, histoire de voir ce qui nous attend.

L'intérieur est pour l'instant bien sombre et j'vois que dalle. J'sais pas trop à quoi m'attendre et je cherche frénétiquement de quoi nous allumer quelque chose.

La chute inopinée d'un baril força chez Maximilienne ce vieux réflexe de ressortir son arme, mais le grincement du tranchant de celle-ci contre son fourreau n'avait plus rien d'intimidant face à la plainte discontinue de la porte entrouverte juste en face d'eux. La remarque un brin ironique du matelot lui fit comprendre qu'elle s'excitait peut-être pour rien, alors elle s'y engagea en répliquant :

- Eh bien nous aussi on va leur faire goûter l'hospitalité de la Marine. Comme ils pouvaient s'y attendre, l'intérieur n'était pas éclairé. MacBride lit en quelques sorte dans ses pensées et s'affaira à chercher de quoi produire une quelconque source de lumière, car la lueur diffuse venant du pont de leur navire ne permettait de distinguer que les premières marches de l'escalier dévoré par le lichen et par lequel ils seraient bien obligés de descendre. Le maître emprunta donc l'escalier en question, le reflet aussi pâle que minuscule de sa lame se balada quelques instants sur les murs dégueulasses avant que l'obscurité ne permisse même plus la moindre réfraction métallique ; elle se dit que Jim ferait bien de chercher plus vite.

À mi-chemin, une masse non-identifiable au niveau du plancher attira son attention et l'officier se stoppa net. Sa main se crispa sur le manche de son sabre et d'une voix un peu plus grave, elle interpella le matelot sans quitter la chose des yeux.

- … hey, ça bouge par ici. Seul indice : c'était trop gros pour être un rat, et ça ne plut pas du tout à Max.

Jack se redressa lentement, les deux mains posées sur son crâne endolori. Il s'était probablement cogné la tête plusieurs fois et ça se sentait. Il faisait sombre, terriblement sombre à l'intérieur de la cale. Il ne voyait rien et n'entendait rien d'autre que le grincement rauque du navire et le bruit des vagues qui s'abattaient contre la coque. Il resta assis sur le plancher, silencieux et immobile, jusqu'à ce que des formes grossières commencent à se dessiner sur sa rétine avec l'arrivée d'une légère lueur tamisée, accompagnée de voix qui se faisaient entendre derrière lui. Mais ce n'était pas son équipage. Ils étaient tous restés à bord du Royal Fortune. Ce n'était pas eux. Il ne lui semblait pas qu'il s'agissait non plus de revenants hantant le navire; mais soudain, le navire en question tangua, Jack perdit l'équilibre et roula à l'autre bout de la cale, se heurtant à une espèce d'objet métallique non identifiable. « ARGH ! » À nouveau le noir. Il ne savait pas trop jusqu'où il avait roulé, ni si les nouveaux arrivant étaient toujours près de lui. Il se releva et empoigna un couteau sorti de sa poche, par précaution.

Bercé par le vent qui s'était levé au milieu de la brume, le navire tangua violemment et grinça de toutes ses planches, alors que les visiteurs cherchaient la lumière en son sein. Peine perdue. Une flamme malade et vacillante s'alluma soudainement au creux d'une vieille lampe près de laquelle divaguait la main de Jim, avant de s'éteindre aussi rapidement qu'elle venait de naître, ne leur laissant que le bref souvenir d'ombres immondes qui s'étiraient et riaient au plafond de la cale. En ce lieu, la lumière, sinistre égoïste, est seule maîtresse d'elle-même.

Dehors, la brise hurla un instant, et, de son murmure glacé, sembla porter par son chant la tristesse du navire tout entier durant quelques secondes, alors que dans le dos des visiteurs, la vieille porte de bois de la cale claqua violemment, suivie du son, résonnant dans les ténèbres, d'un verrou se fermant.

Par vents et marées, mats et portes tiendront leur cap. Soyez rassurés mes amis, l'âge ne les a pas rendus plus faibles, bien au contraire, et jamais mes compagnons ne céderont face à vous. Allez ! Et faites-moi entendre râles et soupirs !

Pendant que j’cherche un peu de lumière, Maximilienne semble avoir repéré quelque chose. Ma main droite cherchait toujours pendant que la gauche commençait à se diriger vers mon sabre. Tout devenait bizarre et c’est pas que ça m’fout les jetons, mais j’me sens pas hyper rassuré non plus. Mais là les enfants, le top du bizarre et du glauque arrive. La lampe à proximité de moi s’allume d’un coup et s’éteint, laissant un spectacle des plus glauques à voir.

« Par les trois testicules du vieux Gilly ! » (Ouais c’était l’insulte préféré du vieux pour qui j’bossais)

J’avance vers ma chef pour la prévenir de c’que je viens de voir.

« J’vais pas faire le rabat-joie, mais c’est pas moi qui ait allumé la lampe. Ni éteinte. »

Ouais, ça pue c’t’histoire. Et comme pour me donner raison, la porte de la cale se ferme, avec le verrou. Bah ouais, autant qu’on soit bien dans la merde jusqu’au bout.

« Faut qu’on trouve de la lumière, j’peux p’t’être tenter de l’ouvrir. »

Finalement j’tâtonne, je reprends la lampe maudite et j’arrive à avoir une petite lumière. Faiblarde, mais qui me permet au moins de voir où je fous les pieds.

« Bon, on devrait fouiller la cale, histoire de voir ce que vous avez repérer tout à l’heure. »

J’sors mon sabre, on sait jamais. J’passe devant, histoire de protéger Max. La vie des chefs est plus importante que celle d’un matelot, puis j’me dis que si je lui sauve les miches, elle sera p’t’être contente. J’aurais p’t’être une prime. Oh et puis merde, j’suis quand même galant avec les femmes. Alors je commence à fouiller, espérant trouver l’objet de mon bonheur. J’ai une bonne expérience du travail manuel et des situations désespérées, mais pas avec des bateaux à moitiés morts et glauques. J’espère que le Cap’tain Grévy a déjà eu ce genre de situation.

« Ça vous est déjà arrivé c’genre d’embrouille ? »

Bah ouais, autant détendre un peu l’atmosphère avant de sortir de là. Faudrait pas finir barjot non plus.

Une secousse qui faillit la faire se viander la tronche jusqu'en bas des marches et une deux secondes de lumière plus tard, Maximilienne avait non seulement perdu de vue la chose vivante qu'elle avait repérée, mais elle avait en plus de ça désormais la certitude que la chose était en fait un être humain. La blonde dut réprimer un tressaillement quand MacBride la rejoignit avec le minimum syndical pour y voir quelque chose et qu'il passa même devant elle, ce contre quoi elle ne protesta étrangement pas.

Alors donc la porte s'était verrouillée derrière eux, sûrement à cause de la grosse vague qui avait frappé le navire mais pour le coup le maître se félicita d'avoir laissé le reste de ses hommes sur le pont. Ils aurait pas eu l'air con s'ils avaient tous été enfermés là-dedans avec personne pour leur ouvrir dehors. La question du matelot lui arracha un ricanement nerveux car hélas la réponse n'était pas tout à fait oui.

- Le seul navire vide que j'aie jamais vu avait connu la peste, mais au moins on y voyait quelque chose et ici je crois qu'on a un survivant. Tu l'as pas entendu crier tout à l'heure ? Se mettant également à fouiller l'endroit grâce au minimum de visibilité auquel ils avaient droit, Max renversa une étagère qui contenait plus de poussière et de toiles d'araignées mortes que de biens à fort coefficient de capital. En avançant sur le sol encombré, elle cria soudain à l'adresse des ténèbres :

- On sait qu't'es là, et je serais toi je me montrerais avant qu'on coule ce qui me sert de baraque !

Appuyé contre le bord de la cale, il resta immobile, guettant le moindre mouvement comme un prédateur, même s'il ne voyait rien dans ce noir absolu. Une lumière s'alluma plus loin, beaucoup plus loin, et s'éteignit aussitôt; il comprit qu'il s'amusait. Il les taquinait et jouait avec leur patience. L'idée de dompter ce navire mystérieux dont il ne connaissait pas les secrets germa dans son esprit et pour lui, il n'était pas question que des gêneurs interviennent.

Lorsque la lumière réapparut, plus faible que la première fois, Jack put apercevoir les deux personnes plus loin. Trop loin pour qu'il puisse entendre distinctement ce qu'ils disaient, mais ils les entendaient parler et cela le confortait dans l'idée qu'il s'agissait de visiteurs trop curieux. Il longea le bord de la cale en avançant silencieusement pour ne pas se faire repérer. Il y avait suffisamment de caisses pour qu'il puisse s'y cacher et trop peu de lumière pour que ses mouvements soient distinguables.

Les menaces proférées par la femme entrèrent par une oreille et ressortirent aussitôt par l'autre, alors qu'il apparaissait soudainement derrière le jeune homme qui l'accompagnait et tenait la lampe, posant le bout de la lame de son couteau sur sa nuque.

« À votre place, je ne resterais pas ici. Même si je me fous complètement de ce qui peut vous arriver. »

Le navire grinça, bercé par le vent qui secouait les flots, riant de la scène qui se déroulait dans ses ténèbres. La vieille lampe que Jim avait entre les mains se balançait lentement au rythme des battements de cœur du matelot, alors qu'une lame le menaçait. Elle s'amusa un instant, faisant vaciller la flamme qui vivait en elle, avant de finalement décider de la faire de nouveau mourir et de l'éteindre une deuxième fois.

Puis, immédiatement après, la lumière au sein de la lampe se ralluma d'elle-même, se faisant cette fois beaucoup plus forte et permettant pour la première fois aux visiteurs de clairement se voir, ainsi qu'une partie du lieu qui les entourait directement, dont l'apparente immensité malgré les ténèbres semblait bien étrange.

Comme cette lumière d'outre-tombe vous sied à merveille, chers amis. Prenez le temps d'en profiter, ne perdez pas un seul instant de sa si précieuse chaleur, car voilà bien longtemps que plus personne ici ne peut la ressentir. Et comme ces ténèbres qu'elle pénètre et qui l'avalent se font plus noirs encore grâce à elle ! Que de mystères se terrent en leur sein, soyez-en certains.

Au loin, entre deux ombres invisibles, un raclement de fer pénétra les oreilles des deux hommes et de la femme.

« À votre place, je ne resterais pas ici. Même si je me fous complètement de ce qui peut vous arriver. »

P'tain j'y crois pas. L'gus qui est coincé avec nous trouve rien de mieux que d'me menacer avec un couteau. Ouais ça m'fout en rogne, car vue la situation, c'est pas l'moment de jouer à ça.

" Euh mon vieux, tu s'rais pas un peu con toi?"

Bougre de con. Il m'énerve. Et en plus la lumière de ma lampe continue sa dance glauque. Tout ça m'fout les jetons dans un sens. Est-ce un type qui bouffe les gens? Mais vue la tournure de sa phrase, il est dans le même merdier que nous.

" Non sérieux, t'es qui toi? Depuis combien d'temps tu crèches ici?"

J'lance un regard à Maximilienne, histoire de voir si elle est prête à dégainer. Ouais j'veux m'en sortir de là indemne et j'suis prêt à faire n'importe quoi, même si je dois finir blessé. J'attends un peu, histoire de voir comment les choses vont passer et j'échafaude mon p'tit plan.

Ouais... mais j'avais pas prévue le coup de la lampe magique. Quoiqu'elle me permet un truc. Paf, elle s'éteint, comme tout à l'heure. Alors j'en profite, j'choppe le bras du type et j'le mords aussi fort que je peux avant de me dégager et de dégainer mon sabre.

Et là... la surprise fut grande. La lampe se rallume de plus belle ouais. Beaucoup plus forte que c'que j'avais pu obtenir. La garce... Elle s'foutait d'ma gueule. Mais du coup, on peut voir la tronche du gus et j'mets quelques secondes à percuter. Pourtant, dieu sait qu'sa tronche est partout. "P'tain... Mais t'es connu toi... Et pas dans l'bon sens du terme.." Ouais mes agneaux, on a Jack Bellamy en face de nous. Et on est coincé avec lui dans un bateau sinistre. La bonne plaisanterie...

Sauf qu'on a pas l'temps à ça. Un raclement de fer se fait entendre d'un coin de la pièce. Pour l'instant, c'est sombre de ce côté. J'ai toujours la lampe, mais mon palpitant s'affole. Alors p'tain, calme toi. J'lève la lampe pour la pointer en direction du bruit et d'l'autre côté, ma main serre un peu trop fort mon arme. J'me tourne légèrement vers ma supérieure, histoire de vérifier qu'tout va bien. Mais j'vous avoue que j'le sens pas trop l'truc.

Le maître eut tout juste le temps de se retourner vers MacBride quand ce dernier fut pris par derrière et par ce qui devait être l'habitant des lieux. Si elle possédait une marge de manœuvre assez réduite et dut se contenter de se mettre en garde si elle ne voulait pas perdre bêtement l'un de ses matelots, le matelot en question sut profiter du comportement très suspect de la lampe pour se dégager de l'emprise invisible, mais la blonde se montra beaucoup moins loquace envers celui qui était encore un inconnu pour MacBride qui lui avait tourné le dos tout ce temps-là, car le visage de l'un des pirates les plus recherchés par la Marine Royale n'avait pas pu lui échapper, à elle, et ça lui fit oublier de se demander pourquoi l'éclairage était aussi capricieux.

À peine Jim eut-il remarqué à qui il avaient affaire que l'officier se jeta sur le pirate, en traître, le temps qu'il se remette de la morsure, et le plaqua contre le mur crasseux le plus proche en attrapant le poignet qui tenait le couteau dégueulasse du Capitaine tandis que son sabre vint gentiment se nicher sous sa gorge.

- C'est pas parce que vous avez les couilles de vous montrer sans votre équipage que vous pouvez faire le malin avec nous, Bellamy ! Le bruit métallique au fond de la cale la fit presque sursauter. Grévy regarda rapidement derrière son épaule, là où MacBride essayait d'y voir quelque chose. Peut-être que l'équipage du Royal Fortune n'était pas si loin que ça en fin de compte et pour savoir si elle et son matelot étaient dans la merde à ce point-là, le maître baissa d'un demi ton : Combien êtes vous ? Qu'est-ce que vous fabriquez ?

Jack retint un cri de douleur au moment où l'homme le mordit jusqu'au sang; il reprit son bras et se retrouva face aux deux inconnus. Mais il eut à peine le temps de se remettre de sa morsure que l'autre se jeta sur lui pour le plaquer contre le mur et en deux temps, trois mouvements, il se retrouva bloqué entre le mur et son attaquant, une lame sous la gorge, menaçante. Elle se mit à le questionner, comme si elle le soupçonnait de trafiquer quelque chose sur ce navire. Combien ils étaient ? Jack se mit à faire semblant de compter sur ses doigts juste pour se foutre de sa gueule, avant de répondre:

« Au moins cent âmes damnées à bord, m'dame. » Il accompagna sa phrase d'un joli sourire narquois, et reprit de plus belle. « Vous voulez faire quoi, me tuer ? C'est pas ça qui le calmera, croyez-moi. »

Un nouveau compagnon pour nous rejoindre et venir partager nos éternités ? Ah ! Intéressante perspective, mais insuffisante, malheureusement ! Une âme n'est pas assez, toutes ensembles, par contre, le seront peut-être. L'ennui ? Il est vite oublié lorsqu'il est depuis si longtemps à nos côtés, soyez rassurés.

Les ténèbres rirent des altercations des trois visiteurs et se firent plus sombres et épais pour l'occasion, alors que dans leur brume d'encre le son de fer emplissait progressivement l'air. Avant de s'arrêter d'un seul coup, laissant à un silence oppressant le temps de s'installer durant quelques secondes.

Mais quelques secondes seulement. Sans crier gare, il fonça hors des ténèbres qui l'enveloppaient jusqu'à cet instant et siffla dans l'air. Il, c'était un vieux sabre qui venait de profondément se figer dans le bois du vieux mur sur lequel Jack était plaqué par Maximilienne. Il resta un instant immobile, étant passé à quelques centimètres de leurs oreilles, avant de se mettre finalement à trembler légèrement, jusqu'à ce qu'il soit retiré du mur dans lequel il était encastré, comme par l'action d'une main invisible qui le faisait désormais virevolter dans les airs.

« Vous voulez faire quoi, me tuer ? C'est pas ça qui le calmera, croyez-moi. »

Sa phrase m'foutait en colère. A croire qu'il savait c'qui se tramait à bord. Au lieu de trouver une solution, on était là, nerveux et agressifs, limite à s'foutre sur la gueule. Faut dire que comme partenaire dans le malheur, tomber sur Jack Bellamy c'était pas le meilleur combo. Le maître le tenait contre un mur et pour l'instant, il était à notre merci. Du moins pour l'instant.

" Tu sembles un peu trop au courant Bellamy ! A moins que tu sois seul, abandonné par les tiens et que tu tentes de nous faire peur? Ou alors tu veux qu'on t'prennes en pitié?"

J'hésitais même à lui proposer un câlin, mais là sur le coup, j'avais pire à penser. Soudain, un vieux sabre, genre une antiquité, vient s'foutre violemment dans le mur à côté du Maître et de l'autre gus. J'lâche un juron et me rapproche de Maximilienne, histoire de vérifier qu'elle va bien. Mais c'est pas finit, oh non... Tout'façon ce serait pas drôle. Le vieux machin se retire du mur tout seul et commence à danse devant nous dans les airs.

Là, j'vous avoue, j'flippe un peu. Voir pas mal. Mais bon, le Maître est là et sans faire dans le sexisme, c'est une femme, alors je dois la protéger. Du moins, le vieux pour qui je bossais me disait tout le temps d'être gentil avec les femmes. Ouais au moins j'avais un pseudo modèle à suivre. Et puis c'est ma supérieure, ce serait mal vu. J'pointe mon sabre vers la lame et me mets entre lui et Maximilienne. Elle tient Jack, j'ai la relique en visuel. C'est pas trop mal, mais vue comment ça pue l'embrouille, j'sens qu'un autre truc va se pointer. Je demande juste au Maître ce qu'elle en pense.

" Doit-on se replier vers la porte pour appeler à l'aide?"

Ouais on a quand même pas mal de gars, alors autant les utiliser. Nos gars pourront peut-être la faire céder, qui sait... J'lâche pas l'truc du regard et j'tente de ralentir mon rythme cardiaque. Allez Jim, reste calme. Mais là faut dire que je peux pas. Vue les circonstances, c'est légèrement trop dur.

Comme pour accompagner l'absence de réponse valable du pirate, quelque chose fit lentement dériver le regard de Maximilienne, mais l'objet métallique responsable de sa surprise se déroba avant même qu'elle n'ait pu fixer l'entaille qu'il avait provoquée dans la cloison. En reportant un peu plus son attention sur celui-ci sans lâcher le jeune homme, Grévy constata que le sabre qui avait manqué de faire une brochette de leurs cervicales était un sabre orphelin.

Elle fit signe à MacBride qu'elle gérait la situation quand celui-ci s'interposa, mais tout le monde et elle la première savait que c'était loin d'être le cas. C'était facile d'expliquer ça en se disant que cet endroit était maudit, que les cent âmes damnées mentionnées avec ironie par le pirate voulaient jouer avec eux et qu'en voulant sortir ils auraient peut-être la chance de se viander sur les entrailles d'un kraken mort et ce serait sans doute énorme à raconter après avoir descendu une ou deux bouteilles une fois loin d'ici. Mais maintenant que ça se produisait devant eux, Max trouvait ça beaucoup moins drôle et elle n'avait plus qu'une envie : retourner sur le pont, quitte à abandonner ce qu'ils rataient peut-être dans cette cale et vendre Bellamy à la place. C'est pourquoi elle répondit au matelot de la façon suivante :

- On y va tous les trois avant que cette chose et ses petits frères nous attaquent. Façon détournée de lui dire qu'il n'avait pas intérêt à la laisser seule là-dedans. Elle joignit le geste à la parole en vrillant le poignet du pirate pour le faire venir, c'est qu'elle se doutait bien que ce genre de marins préféraient la mort à la reddition.