e tumulte de la taverne était assommant. Tous les mètres, quelqu'un buvait, hurlait ou se battait. Il était impossible de faire deux pas sans bousculer quelqu'un, voilà pourquoi Selah due consommer une quantité surprenante d'énergie pour arriver aux escaliers qui menaient à l'étage. Et encore plus pour les grimper, soit à cause du fait qu'ils représentaient un obstacle insurmontable pour tous les ivrognes présents qui s'y cassent la gueule, soit à cause des quelques verres de rhum qu'elle avait ingurgité. Elle avait beau être un pirate, elle n'avait jamais aimé cet alcool, au gout trop parfumé, selon elle. Mais il n'y avait rien d'autre à boire à Tortuga, même pas de l'eau hormis celle du port. Bref, elle divaguait, revenons à ces escaliers aux marches grinçantes, à la rambarde glissante et au milieu de cette ambiance débauchée. Une par une, elle grimpa les planches de bois, évitant les corps inanimés et les projectiles lancés en sa direction, la plupart dus à de mauvais réflexes de la part des pirates ratant leur cible, elle supposait. C'est avec un sentiment de victoire qu'elle atteint enfin l'étage, s'éloigne de la musique trop envahissante pour se réfugier dans cette ambiance plus tranquille, ou tout du moins, c'est ce qu'elle espérait.

Car il n'y avait rien de plus pathétique à ses yeux qu'une bande de roublards incompétents, totalement ivres, sans histoire ni avenir. Sans intérêts. Son capitaine avait décidé d'accoster sur l'île des pirates, pour laisser les matelots consommer leurs biens, courageusement acquis après l'attaque d'un riche navire marchant. S'en suivi une poussée d'enthousiasme général, dont elle s'était bêtement laissée entrainée. Car elle ne voyait rien d'enthousiasme à l'idée de boire jusqu'au comas, ou à la régurgitation, et dans ce cas-là, se payer ensuite de la compagnie pour la nuit, que seul l'alcool rend ravissante. Mais alors, rien.
Un avis définitif qui se conclu lorsqu'elle aperçut, à travers la faille laissée par une porte entre-ouverte, un barbu ivre mort tenter de défaire sa ceinture, devant une rousse hystérique. Si repoussant. Mais voilà la vie de pirate dans laquelle elle avait décidé de s'embarquer, bien des années plus tôt. Un choix, ou la concrétisation d'un rêve. Ou la conséquence d'une impuissance à pouvoir ou non faire autre chose. Car ce n'était pas comme si elle aurai pu devenir une grande femme du monde, après que son père ait perdu toute leur grande richesse familiale. Ce n'était pas comme si on lui aurai proposé de faire des études, lorsqu'elle s'était retrouvée à l'orphelinat. Ni comme si elle aurai pu compter sur le soutien de sa jumelle, après qu'elles aient été séparées.

C'est avec un immense soulagement qu'elle pousse la double porte menant au balcon en demi-cercle, totalement vide de présence humaine. Elle s'accoude aux rambardes, respire l'air marin de la pleine lune, tout en observant l'horizon plat et froid de l'océan. Non, ce n'était pas comme si elle avait eu le choix de poursuivre ses rêves de liberté, ni comme si elle allait s'en plaindre. Mais entre devenir la plus grande pirate de l'histoire, et être séparée de sa jumelle, le chois était vite fait. Car deux sœurs n'étaient pas faites pour vivre séparément. Elles n'étaient pas faites pour se perdre de vue, ne pas connaitre leurs secrets, leurs problèmes, ni pour ne pas se soutenir chaque jour. Elles grandissaient ensemble depuis leur premier instant, sans jamais douter de leur avenir partagé.

Que nenni.

Il arrivant parfois qu'un évènement imprévu, survienne alors que ces jumelles étaient encore bien trop jeunes pour se défendre. Un évènement, ou une personne. Sans pitié, ni compassion. Qui ose séparer deux moitiés et les lâcher dans la nature, tel deux âmes mi-mourantes. Aujourd'hui, elle n'avait aucune nouvelle de sa précieuse sœur. Ne savait même pas si elle avait survécu à ce monde de fous, si elle était à sa recherche. Mais savait à cause de qui elles avaient été séparés. Avait promis de se venger.
Selah se rendit compte qu'elle tenait fermement sa tête entre ses doigts. Ne regardait plus l'horizon, mais c'était la barrière grise et ma rue en dessous qui rentraient dans son champ de vision. Une rue, étrangement calme depuis quelques instants. Elle lève un peu ses pupilles pour observer ce qui pouvait bien s'y tramer. Il y avait un cercle de personnes, entourant une silhouette immobile au sol, et une autre bien sûr ses deux pieds, qui perça la foule de curieux pour continuer visiblement son chemin. Selah plissa ses yeux, suspecte. Le scénario était compréhensible, quelque chose d'aussi banal qu'un défi entre deux hommes, qui s'était transformé en spectacle bruyant, pour finir dans le silence total après que l'un deux ait fini à terre. Non, ce n'était pas le scénario qui l'intriguait, mais bel et bien la silhouette vainqueur. Une silhouette, une posture, une démarche. Quelle reconnaitrait entre toutes. Sa vengeance allait enfin pouvoir être exécuté.

Elle se redresse, baisse encore les yeux et aperçoit un empilement de tonneaux, sous ses pieds. N'a pas le temps de faire demi-tour par les escaliers. Alors, saute. S'écrase sur le bois sans trop de dégâts, descend encore pour atteindre la poussière du sol. Elle se faufile ensuite tant bien que mal à travers la foule qui se disperse, cours et bouscule. Sous la nuit étoilée, il lui ait difficile de se repérer, mais elle court tout droit, dans cette direction là, ne s'arrête pas. Et finit par retrouver sa cible. Elle s'arrête derrière lui alors qu'il lui tourne encore le dos et continue tranquillement sa marche. Prends une inspiration pour couper son essoufflement, et lève la voix.

▬ Howell !

Avant de sortir son épée. Elle attend, qu'il se retourne, de pouvoir de voir en face, de pouvoir la planter dans son cœur. Observe ses yeux luisant, son visage dénué d'expression. Abat sa lame.

aine et détermination se lisaient dans son regard. Tel un feu brûlant, lui éclairant le chemin, lui donnant la force de poursuivre dans la recherche de sa vengeance. Un regard, braqué dans celui de son adversaire, si froid, si sombre. Une arrogance démesurée face au manque de puissance auquel elle était confrontée, elle devait bien l'avouer. Car oui, il était plus fort qu'elle. Plus habile et rapide. Plus expérimenté. Pourtant, elle ne cessait de l'attaquer, dès qu'elle en avait l'occasion. C'était plus fort qu'elle, même si elle essayait se s'en empêcher, jamais elle ne pourrait retenir ses émotions. Poussée par ce feu brûlant.

De la faiblesse, disait l'autre. Un terme qu'elle ne comprenait pas. C'était si fort et si aveuglant, qu'elle ne pouvait concevoir telle définition. Surtout si cela permettait de pointer la lame de son épée sur le cœur de son ennemi. Celui-ci termina sa tirade, se retourna, s'enfuit lâchement. De l'indifférence, face à un jeu trop ennuyeux. Elle s'y attendait, à cette réaction. C'était la même chose à chaque fois. Il tâtait le terrain, jouait un peu, avant de le lâcher négligemment lorsque cela ne l'amusait plus, ou ne représentait pas, ne serait-ce qu'un infime intérêt. Une conduite qui l'exaspérait, bien que la seule chose qui l'intéresse chez lui, était la dureté des côtes protégeant son cœur. Le simple demi-tour de l'homme la mit hors d'elle. A son avis, il fallait être une sacrée ordure pour décider du choix de vie des autres, sans en assumer des conséquences de ses actes.

Elle rangea la lame dans son fourreau, entrouvrit ses lèvres défraichis par la fatigue. Puis, les referma. La discussion n'était pas nécessaire, ou tout du moins, c'était l'impression qu'il lui donnait. De sa jeune vie, c'était la première fois qu'elle traquait un ennemi, voulant à tout prix sa mort. Elle ne savait donc pas comment s'y prendre, ou même s'il y avait véritablement une méthode pour cela. Alors, quitte à paraitre un peu malhabile, sans expérience ou perdue - de toute façon elle s'en fichait, c'était ce qu'elle était malgré la détermination qui la rongeait - elle sortie ses deux poignards de ses bottes. Leva la main, fit pivoter son poignet. Puis, le lança.

Il faut savoir que si la jeune femme était forte dans l'art de la digestion d'alcool, elle l'était encore plus avec ses deux lames, de loin ses armes fétiches. Une étincelle dans la nuit, qui trancha l'air et parcouru sa course sans obstacles. Droit vers sa cible. Sans l'assurance qu'elle la touche.