Le jeune homme avançait d’un pas nonchalant, non sans reluquer avec insistance les formes charnues des Damoiselles qui croisaient son chemin dans les rues très fréquentées de Santa Rosalia. Les badauds se pressaient, chacun vacant à ses occupations, bousculant, criant et parfois même se bagarrant pour une raison quelconque. Mais c’était sans compter la présence si assidue de notre chère Marine Royale ! Ah, la Marine ...

Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir y foutre dans cette Marine moi, se disait Gab’. J’aime regarder les femmes, j’aime regarder les bagarres, j’aime les entourloupes et l’argent, et je n’aime pas travailler. Eux, ils passent leur vie à surveiller tout le monde, ils courent partout et sont payés une misère. Mais dans quoi est-ce que je me suis embarqué ? Je ne sais même pas quel poste mon très cher père m’a dégotté.

Il soupira. Trop jeune, trop beau, trop parfait pour un travail aussi peu honorant. Il se doutait bien que se retrouver Commodore à l’âge de 21 ans et sans aucune expérience dans le métier, était chose impossible. Et pourtant ... Il se voyait bien avec ce chapeau à plume si grotesque, ces chemises à froufrou et ses mimiques de chef : quelle fière allure il aurait ! Cette pensée lui tira un sourire narquois. Il y voyait bien un avantage : pouvoir assister à ces mondanités si ennuyeuses, où moult femmes se trimballent avec les nichons à l’air, boudinées dans leurs corsés trop serrés.

C’est sur cette pensée lubrique que Gab’ arriva sur le port. Il n’eut aucun mal à distinguer les uniformes bleus de la Marine qui s’affairaient prêt d’un bâtiment. Avec mépris, il héla un matelot.

- Hé toi là ! Tu peux me dire où je peux trouver un officier dans tout ce fourbi ?

A peine un regard, un bégaiement incompréhensible et le matelot fit un tour sur lui-même, en direction du bateau. Gab’ leva les yeux aux ciels, prêt à faire demi-tour, lorsqu’il vit le dit bougre discuter avec un énième individu de la Marine, tout en le montrant du doigt. Apparemment, il s’était fait comprendre. L’individu en question se dirigeait vers lui, sans qu’il puisse déterminer de loin s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme, au vu de ses vêtements et de ses traits.
Il s’avéra finalement qu’il s’agissait d’une femme, certes laide, mais bien d’une femme. Elle le jaugea d’un regard méprisant et se présenta avec arrogance, comme étant officier. Cela étira un léger sourire, mi-figue mi-raisin, sur le visage du jeune jouvenceau.

- Officier Grévy, hmm... Je m’attendais à ... quelqu’un d’autre. Mais puisque vous êtes là, vous allez peut être pouvoir vous rendre utile !

Il sortit un parchemin de sa veste d’un geste souple, où le sceau rougeoyant semblait plus que récent, tout en se présentant.

- Mon nom est Gabriel Hawkins, fils du notable J.R. Hawkins. Je viens prendre mes quartiers dans notre très chère Marine ! Arrogant jusqu’au bout des doigts, il tendit le parchemin à son interlocuteur, d’un geste autoritaire. Ce parchemin en atteste, et je vous prierais de me le restituer après lecture, que je puisse le ...

La fin de sa phrase se noya dans les cris et les jurons de la bagarre qui s’était déclarée non loin de-là. Il regarda les protagonistes d’un mauvais œil, pour avoir coupé l’effet préparé de sa phrase, qu’il termina brièvement.

- Je le récupère ensuite, pour vos supérieurs. Mais trêve de paperasse, je crois qu’il est temps de faire régner l’ordre ici.

Sans autres explications, il tourna les talons et se dirigea vers la bagarre.

L’officier Grévy lui emboita le pas, tout en lui prodiguant conseil sur la manière dont les Marines abordaient les problèmes, qualifiés de « vraies opérations ». Gab’, dédaigneux, répondit sans même se retourner.

- Car la protection des civiles n’est pas une « vraie opération » ? A quoi servez-vous à Santa Rosalia dans ce cas ? Il marqua une légère pause dans un souffle, avant de rajouter. Et je vous signal que cette lettre que vous tenez m’a fait entrer en poste ce matin, à 9h.

Pour qui elle me prend celle-là ? De vraies opérations. Je vais lui en foutre moi de l’opération.

Une petite foule de civils et de Marines commençait à se former autour des deux hommes, qui semblaient avoir prit quelques sérieux coups. Gab’ ne comprenait pas pourquoi les Marines présents n’intervenaient pas. Ils semblaient même prendre du plaisir à observer la scène. Il allait les interpeller lorsqu’il entendit l’officier Grévy lancer des paris avec ses collègues. La mine interloqué, il se retourna ...

- Alors c’est comme ça que vous travaillez ? La Marine Royale me semble bien en de ça des idéaux utopiques de mon père ! Et qu’elle ne fut pas sa surprise de la découvrir l’officier sans sa lettre ! Qu’avez-vous fait de ma lettre malheureuse ? Je vous avais dit de me redonner cette lettre ! Récupérez-là !

Furieux, il se retourna brusquement. Vous allez voir de quoi un Hawkins est capable.

- Hé vous là ! Dans les cris, les borborygmes et le brouhaha, ses paroles furent indistinctes. En jurant, il se rapprocha encore et hurla : Marine Royale, cessez immédiatement de ...

A terre, le nez en sang, il n’était plus capable de terminer sa phrase. L’un des deux agresseurs avait trouvé judicieux de lui donner un coup, afin de le faire taire et de pouvoir finir son affaire tranquillement, sous les rires moqueurs des Marines présents.

Prostré de douleur au sol, les mains sur son nez sanguinolent, Gab’ ne comprenait pas tout ce qui se produisait autour de lui. Des bruits de verre cassé, des coups, des cris, puis tout s’apaisa tranquillement. Il s’avérait fort probable que la Marine était entrée en scène pour mettre un terme à cet affrontement ... C’est ce que ses sens étourdis lui laissait penser jusqu’à ce qu’une ombre quelque peu menaçante le surplombe, il craignit un instant de reprendre un coup, mais se rassura en reconnaissant le ton, certes condescendant, de l’officier Grevy.

Cette bonne femme commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs, en plus d’être totalement inutile, elle se permettait des remarques totalement infondées. Elle l’aida tout de même à se relever.

Gab’, tout en se pinçant le nez pour éviter de mettre du sang partout sur sa veste, l’invectiva du mieux qu’il pu, dans sa situation.

- Pour votre gouverne, mon père ne vous épie pas sur le terrain, mais il serait déçu de voir que ce qu’il a apprit à son fils sur l’histoire et les pratiques de la Marine, est totalement faux.

Il se saisit avec hargne du mouchoir qu’elle lui tendit, avec un léger hochement de tête en guise de remerciements. Ce dernier s’imbiba bien rapidement de sang, tout comme les mains du jeune homme. Il jura, tout en se frottant le nez avec prudence : à n’en pas douter, les prochaines heures, voir les prochains jours, risquaient d’être douloureux. Avec peu de manière, il enfile deux coins opposé du mouchoir dans chacune de ses narines, afin de stopper le saignement.

Il est certain que sous cet angle, il perdait un peu de sa prestance habituelle. Ce que ne manqua pas de lui faire remarquer l’officier Grevy. Il ne prit pas la peine de lui répondre, blessé dans son amour propre. Comment lui, Gabriel Hawkins, avait-il pu être ainsi humilié, publiquement, devant des représentants de la Marine ? Cela lui était presque impensable. Il respira un bon coup, se ressaisit et releva la tête, tout en enlevant prudemment le mouchoir, afin de vérifier que le sang s’était arrêté de couler. Peut être allait-il entamer une approche ... différente avec l’officier Grevy.

- Cela était peut être ... précipité ... j’en conviens. Il lui tendit le mouchoir qu’elle lui avait prêté, avec un léger sourire. Je pense ne plus en avoir besoin pour le moment, merci.

Il épousseta sa veste, pour enlever la poussière due à sa chute et la remit en place.

- Peut-être est-il temps de faire les choses dans les règles. Pourriez-vous me rendre cette lettre et m’indiquer où se trouve les bureaux de la Marine, afin d’être prit aux sérieux, et non pas aux milieux de plaisanterie grivoises, entre vous et vos collègues ? Un sourire narquois se dessina sur son visage. Vous n’aimeriez pas qu’ils aient une mauvaise image de vous dès notre première rencontre, n’est-ce pas ?  

Il sortit de l’ombre du navire dans laquelle ils se trouvaient afin de ne pas attirer l’attention, en respirant profondément ; son nez le lançait, provoquant quelques étourdissements.

- Allons donc ... trouver ce Fisher !

Il tituba ... Et tomba ... Dans l’eau.