Les pensées de Molly en ce moment se résumaient au fait que les membres de son équipage étaient mignonnes et gentilles mais qu'elles avaient un don certain pour se mettre dans la merde, ce qui était amusant les deux premières fois mais un peu lourd à partir de la troisième. Et pour ce qui était de Rosie, la Capitaine ne comptait plus depuis un moment. Enfin, d'un côté, ça faisait régulièrement de l'action, ce qui était pas si mal, parce que la mer elle était jolie mais ça devenait vite chiant quand on la voyait immobile pendant des semaines. Même si bon, elle aurait préféré éviter d'en arriver au point de devoir carrément aller la chercher en prison, au beau milieu de Santa Rosalia.

Molly soupira alors qu'elle enfilait l'uniforme d'un des deux types de la Marine qu'Helen venait d'assommer en oubliant pas de leur péter les deux bras au passage, pour la forme et parce que c'était toujours marrant à voir. La Capitaine avait préféré se rendre sur place avec seulement sa Seconde, pour plus de discrétion et d'efficacité, essentiellement. Évidemment, elle se doutait bien que leur couverture serait vite grillée, mais du moment qu'elles puissent entrer et faire un minimum de deux pas, c'était déjà pas mal. Le Sloop William était amarré de l'autre côté de l'île, et les filles avaient pour seul ordre de venir foutre un bordel monstre si elles ne revenaient pas d'ici ce soir. Mais Molly était plutôt confiante.

La Capitaine se retint d'éclater de rire à la vue d'Helen habillée en Marine, s'étant rappelée qu'elle devait être tout aussi ridicule. Mais la scène valait quand même le coup d’œil ! Enfin, ceci étant dit, elle quitta silencieusement la ruelle dans laquelle elles se trouvaient jusque là, essuyant au passage ses bottes sur la gueule d'un des deux types, et se dirigea tranquillement vers les portes de la prison, l'air aussi Marine que possible.

De tous les plans foireux organisés par l'équipage du Sloop, celui-ci ne faisait certainement pas partie des pires.
Et pourtant il n'avait quasiment aucune chance de se passer comme prévu. Il y avait tellement de choses qui pouvaient foirer que ça foutait la nausée rien de d'y penser. Du coup, Helen n'y pensait pas trop, se dirigeant au côté de sa capitaine vers la grande porte de la prison d'un pas calme et assuré, en priant pour que Molly en fasse de même, ce qui constituait déjà un élément du plan qui pouvait échouer à tout moment.
Il y avait pas mal de sentinelles autour de la prison, mais la porte en elle-même n'était gardée que par deux marines à l'air passablement abrutis, ce qui constituait déjà un potentiel succès, étant donné qu'il allait falloir se montrer subtil pour entrer dans le bâtiment. Pas question de leur casser les dents sans se foutre immédiatement un peloton entier sur le dos, ce qui était beaucoup trop pour deux personnes.
Tout en se tenant prête à bondir si jamais l'un des deux larbins fût soudain frappé par un malencontreux éclair de génie le poussant à s'écrier : « OH MON DIEU REGARDEZ, C'EST MOLLY RAINWORTH DANS LE PLUS MAUVAIS DEGUISEMENT DE MARINE QUE J'AIE JAMAIS VU ! », Helen annonça d'un ton arrogant et autoritaire plutôt convaincant :

« Ouvrez-nous ces portes, messieurs. On nous a envoyé inspecter ce bâtiment. »

Les deux marines paraissaient complètement interloqués, moins par la nature de la demande que par le fait que l'on leur adresse la parole. Le moins endormi des deux mit une poignée de secondes avant d'analyser l'information et de répliquer mollement :

« Inspecter ? »

Helen fit mine de perdre patience et éleva quelque peu la voix, de façon à se montrer intimidante sans avoir à se faire remarquer par tout le quartier :

« Vous avez de la merde dans les oreilles, matelot ? Oui, on nous a envoyé procéder à une inspection surprise, histoire de voir si vous faites convenablement votre boulot. Vous voulez que votre nom figure en premier dans le rapport qui enverra tous les incompétents nettoyer des fonds de cale ? Alors si vous préférez continuer à faire le piquet, vous avez intérêt à ouvrir cette porte. »

Elle en avait peut-être un peu trop fait, mais bien heureusement, l'homme était tellement partagé entre la confusion et la crainte que les menaces d'Helen se concrétisent qu'il ne fut capable que de bafouiller :

« Euh, n-non chef, entrez, on vous emmène voir le chef, chef. »

Lui et son copain furent bien heureusement trop occupés à ouvrir la porte pour pouvoir apercevoir le rictus incontrôlé qui fila sur le visage d'Helen pendant une seconde. La marine engageait vraiment des bras cassés. Elle regagna bien vite son sérieux et son arrogance.

« J'aime mieux ça. On vous suit. »

Les couloirs de la prison ressemblaient exactement à ce à quoi on pouvait s'attendre : Sombres, étroits, humides, de la pierre nue partout et rien d'autre. Arrivés à une intersection complètement déserte, Helen prit l'initiative d’assommer l'un des deux gardes d'un grand coup de crosse à la tempe. Le bruit mat interloqua l'autre, qui se retourna bien trop lentement pour anticiper la main plaquée sur sa bouche et la lame plaquée sur sa gorge.
Molly, bien plus talentueuse qu'Helen quand il s'agit de manquer de subtilité, n'eut aucun mal à convaincre le pauvre bougre de leur dire dans quelle cellule ils avaient balancé Rosie. Par chance pour lui, la seconde l'assomma avant qu'il ne puisse se rendre compte qu'il avait ruiné son pantalon, avant de le balancer avec son collègue dans une pièce vide.

Il était hélas inévitable de croiser d'autres marines en chemin, et la meilleure approche était encore d'éviter les questions gênantes -genre « Vous êtes qui et qu'est-ce que vous foutez là ? » - en posant d'autres questions encore plus gênantes. Bientôt la moitié de la base était en alerte, vu deux marines dévouées avaient informé que les gardes de la porte principale manquaient à leur poste. Personne n'avait le temps de se préoccuper de deux jeunes femmes suspectes qui se baladaient librement dans le bâtiment. Du moins jusqu'à ce qu'on trouve les deux concernés, baignant dans un mélange de pisse et de sang au coin d'une pièce quelconque. Là l'alerte deviendrait bien plus sérieuse.

C'est ce qui sembla se produire au moment ou Helen et Molly arrivèrent enfin devant ce qui semblait être la cellule de Rosie. Le mot « INTRUS » retentit à plusieurs reprises dans les couloirs, mêlé à tout un tas d'ordres inintelligibles et de bruit de pas précipités, se réverbérant dans toute la prison à travers les étroits corridors.
N'ayant pas vraiment le temps de chercher les clefs, Helen entreprit de défoncer à porte de la cellule à grands coups d'épaule, ce qui lui demanda bien des efforts mais fut grandement facilité par le fait qu'elle s'ouvrait vers l’intérieur. Enfin, le verrou sauta au milieu d'une pluie de bois brisé, à moitié pourri par l'humidité. La seconde du Sloop annonça son entrée d'une voix retentissante, parce qu'après tout, il n'y avait plus vraiment besoin de se faire discrètes.

« Les vacances sont terminées, ma fille ! Il est temps de prendre les armes et de se tirer d'ici ! »

Sur ces mots, elle lança à l'occupante de la cellule un pistolet chargé et un sabre bien aiguisé. Elles allaient en avoir besoin.