Nous avons repris la mer il y a de ça cinq petites minutes. Les voiles sont encore peu ouvertes. Le vent ne souffle pas beaucoup. La côte va mettre quelques temps à s’éloigner vraiment. L’objectif, pourtant, est assez simple : quitter cette île et nous assurer que le Sloop William est bien dans les parages. Deux navires de taille plus petite sont partis avant, en éclairage. C’est tout ce que j’ai pu mobiliser. S’ils trouvent les pirates et parviennent à revenir jusqu’à moi, je saurai comment suivre l’équipage de mademoiselle Rainworth. Nul besoin de les attaquer maintenant. Je dois d’abord en apprendre davantage sur elles, sur leurs agissements, sur leur capitaine et sur un peu tout, en fait. Cette jeune fille blonde, étendue là, devrait pouvoir m’y aider. Si je pense à ça, c’est avant tout grâce au rapport que l’on m’a fait du navire dont venaient probablement les deux chattes voleuse. C’est d’un équipage réputé qu’elles viennent, apparemment. Autant ne pas précipiter les choses.

Dans ma cabine, je regarde par la fenêtre. Nous tanguons très peu mais je ne peux m’empêcher de trembler légèrement. Qui sait si ce n’est risqué d’avoir affaire à ces dames-là ? Elles sont fichées auprès du quartier général de la marine. Et cette petite… je ne peux m’empêcher de tourner les yeux vers elle, par moments. Elle dort, ou en a l’air. J’ai frappé comme il fallait pour ça. Sauf qu’un jour ou l’autre, j’espère bien qu’elle se réveille. Qu’elle parle aussi, accessoirement. Mes yeux se plissent, je constate qu’un peu du léger drap qui la recouvre laisse paraître un soupçon de chair blanche et agréablement rosée. A-t-elle bougé ? Je ne crois pas… De toute façon, s’il m’a fallu la dévêtir puisqu’elle était trempée, avant de l’allonger sur mon lit, elle est maintenant attachée de chaque main au montant et les deux pieds ensemble. Peu de risque qu’elle s’éloigne bien loin. Mon regard se tourne de nouveau vers les flots, vers l’azur, vers l’avenir…

Le temps est calme. Le ciel est d’un bleu qui réfléchit magnifiquement cet éblouissant soleil que nous avons là. Ce serait le jour idéal pour prendre un bain de lumière. Seulement, je ne peux pas me le permettre. Je n’ai certes pas envie de laisser la jeune femme ici. Qui sait ce qu’elle pourrait faire comme bêtises en mon absence. Ronger ses liens, j’imagine que c’est possible. Si cet état d’excitation qu’elle m’a montré précédemment et son attitude habituelle, elle risque d’être intéressante à mater.
C’est au son d’une espèce de couinement que je me retourne. Sans savoir s’il s’agit d’une volonté de grogner ou d’une simple réaction de sa part, je garde les bras croisés et l’observe, dans un premier temps. Le plus amusant est certainement que ce fait est mutuel. Elle a posé ses pupilles verdâtres sur les miennes, plus sombres et peut-être moins vives. J’analyse les choses avant d’agir. Tout le contraire de sa petite personne. Ça ne m’empêche pas d’approcher, de venir auprès du lit pour regarder sa forme étendue, voilée de ce drap si singulier à la marine britannique.

« Eh bien ? Qu’avons-nous là ? »

Mes yeux, lentement, redécouvrent la blancheur de sa crinière répandue. Son visage, s’il s’est d’abord révélé agressif et provoquant, comme s’il était le reflet de son absence de peur devant la mort, m’étonne maintenant assez. Il est d’une fraîcheur peu commune, débarrassé de la colère et de la peur. Voilà une bonne chose, si cela se trouve.

« Jules, c’est ça ? Voleuse et… pirate. »

Je pince des lèvres à ces mots puis me détourne un peu. Les liens à ses pieds ne sont pas visibles par moi mais étaient solidement attachés tout à l’heure. Quant à ses mains… tout a l’air d’être sous contrôle.

Effectivement, elle n’est pas aussi rebelle qu’elle l’a été. En tout cas, son attitude présente n’est pas celle de la jeune fille fière et belliqueuse qui s’est opposée à moi. De toute façon, si son sacrifice grandiose a permis à l’autre de fuir, ce n’est pas avec ça qu’elle quittera ce lieu. J’imagine plutôt qu’elle ne sortira de cette pièce qu’avec mon accord, si cela arrive un jour. Tant que j’aurai besoin d’elle, je ne vois aucune raison de la libérer. Grâce à moi, elle échappe déjà à la justice, à une possible pendaison ou à de l’emprisonnement. Ma cabine vaut mieux qu’une cellule. L’air marin vaut mieux que celui, vicié, de la prison de Santa Rosalia.
Je ne réponds donc pas à ses propos, pour commencer. Notamment parce qu’elle ne m’en laisse pas tout à fait le temps et que ce n’est pas essentiel. Si c’est agréable de voir une jeune femme sourire, ce n’est pas une raison pour tomber en pâmoison parce qu’elle est soudainement surprise ou contrariée. Les changements d’état font partie de l’humanité. Je reste simplement songeur quand à l’importance de sa tenue. Revenant auprès d’elle après avoir fait deux-trois pas, je saisis le coin de sa couverture. Dois-je l’ôter complètement pour répondre à sa question, ou bien la remettre en place ?

«Tu me fais penser qu’il va falloir que je soigne cette vilaine blessure. »

À mes propres mots, je ne scrute bien sûr pas son front, mais le bras abîmé qui affiche encore une belle éraflure. Je l’ai rincé à l’eau et vaguement bandé d’un morceau de tissu serré en la dévêtant, pourtant ce n’est pas assez. En soulevant un peu le drap, je constate cela, prenant le pseudo-garrot de mon autre main pour tirer dessus et libérer le membre blessé.
Evidemment, puisque j’ai éludé toutes ses interrogations, je peux quand même me permettre de lui répondre dans une certaine mesure. Mes pupilles retrouvent ses yeux. Mes doigts relâchent ce qu’ils tiennent sur son corps.

« Je suis le capitaine de ce bateau, et non le médecin. Mais ce n’est pas comme si cela posait une difficulté spécifique, hein ? »

Des problèmes, on en a assez comme ça. Et puis j’ai du boulot, tout de même. Il ne faut pas qu’elle oublie qu’elle n’est pas simplement mon hôte. Elle doit parler et apprendre à tenir sa place. Place que je vais gentiment lui enseigner en prenant le temps qu’il faudra.

Jules n’est ni trop agressive, ni trop docile. C’est un juste milieu. C’est bien. Je pense que nous allons pouvoir nous entendre un minimum. Scrutant néanmoins le moindre de ses mouvements, au cas où elle préparerait quelque chose, je m’éloigne légèrement pour prendre des chiffons, de l’eau dans un seau et une bouteille de rhum. Il va falloir que je soigne moi-même cette vilaine plaie qui, je m’en excuse, ne vient pas de moi. Un coup d’œil en coin m’assure qu’elle a simplement bougé. Elle offre une allure plutôt intéressante. Je reviens vers elle.

«Tu parles beaucoup pour une jeune fille captive. Prétends-tu pouvoir faire appel à tes charmes ? À moins que tu ne me prennes pour un imbécile que tu voudrais berner. »

Un temps debout, un temps assis. Je m’installe sur le bord du lit, auprès d’elle, le bac de flotte à mes pieds. Je trempe le premier chiffon propre, l’essore et me tourne vers cette charmante petite tête. Un rien de sourire vient se ficher sur mes lèvres. Sa vilaine bosse devrait partir aussi, si je pouvais y faire quelque chose. Je n’ai toutefois, sur mon bateau, que quelques médicaments et outils de médecine passablement nettoyés. Mieux vaut faire ça le plus simplement du monde.

«Tu peux m’appeler Capitaine, si le cœur t’en dit. Tout le monde m’appelle comme ça, ici. »

Elle a oublié de me vouvoyer. Je passe pour cette fois. Mon regard n’est pas agressif à son égard. Je me contente de faire ce que j’ai dit. De mon fait, le drap qui la recouvre quitte son bras, dévoilant une partie du haut de son corps. Même si je ne suis pas médecin, l’anatomie m’intéresse tout de même assez. Et en particulier celle des femmes. À son âge, on peut dire qu’elle en est une, non ?

«Tu as quel âge ? Une simple cuisinière de ton état pourrait certes m’être utile, quand on y réfléchit bien. Ça changerait un peu de cette perpétuelle bouffe masculine que nous fait le cuistot de bord. Vivre avec des types en permanence… »

Je ne finis pas ma phrase, mais c’est assez explicite. Je préfère me reconcentrer sur le travail à accomplir. Mes pupilles abandonnent donc à regret les forces de son ventre, de son buste, de ses lèvres, de ses yeux, pour se poser sur l’entaille à son bras. Un coup de chiffon humide dessus pour vaguement mouiller tout ça, et assurément voir l’eau couler sur la peau délicate de son corps de déesse…

«Hmm… Shark…»

Je ne réponds rien de plus pour le moment. Je penche juste la tête et fais, moi aussi, une petite moue. Drôle d’appellation. Mais si ça peut lui faire plaisir.

«Peut-être devrais-tu me considérer comme ton capitaine, maintenant. Nous gagnerions du temps. Et le fait que tu te permettes de me tutoyer serait plus justifié.»

Je pose mon chiffon sur son bras, ne me préoccupant pas particulièrement de la possible douleur. Mon regard revient à ses yeux qui, étonnamment, ont l’air de lancer des éclairs. Elle recommence ? Décidément, c’est une étonnante jeune femme. Je pourrais dire une gamine. Je devrais le dire.

«Mes désirs culinaires… hu, tu as mal ailleurs ? »

Le chiffon se retire de son bras, révélant la plaie qui baigne. Le moment est venu de passer à la suite, aux véritables soins. Je me penche donc, non sans avoir scruté sa chair délicate contrainte de rester en place. Je tends le bras, ramasse la bouteille de rhum parterre et la porte devant son visage. Un coup d’œil durable sur elle, presque dur, pour appuyer mes paroles.

«Tu devrais boire. »

Une fois le bouchon ôté, je porte le goulot à mes lèvres et en aspire le contenu. Une bonne gorgée, puis je la lui tends. Que va-t-elle faire ? Je l’ignore. Il serait préférable pour elle de se désensibiliser un peu, au risque d’être désinhibée. Car ce qui va suivre va piquer. Après avoir tendu la bouteille vers sa bouche, lui laissant le choix de boire ou non, je me lève et attrape son bras. Dangereusement, l’alcool avance, jusqu’au-dessus de sa plaie. Qu’elle ne bouge pas. Une seconde. Deux secondes. Le liquide coule, venant asperger sa méchante blessure. Je me doute que ça brule. Je sais que le rhum et le sang ne font pas bon ménage. Mais au moins, elle n’attrapera pas de cochonnerie. Ça ne s’infectera pas. Elle me remerciera, plus tard. Voyant une goutte couler sur son corps, de son bras meurtri à ses côtes, je me penche et porte le membre à ma bouche. Je lèche et suce sa peau. Il ne faut pas en perdre une miette. J’attends que la douleur passe, chez elle, pour demander.

«Si je te détache… »

De toutes les décisions que j’ai prises, je ne sais pas laquelle est la pire, ni celle se trouve être la meilleure. Je suis seulement persuadé d’avoir joué avec le destin et que d’intéressants résultats en sont échus. C’est amusant, cette situation. Je dirais même, au risque de choquer ou d’étonner, que c’est assez excitant. Rarement je suis arrivé à mener interrogatoires ou séances de torture, par le passé. Pour ainsi dire jamais. Mais là… je trouve un certain plaisir à être avec cette jeune femme, à m’occuper d’elle. Elle est une patiente peu désagréable, malgré que la situation ne soit pas à son avantage. Si je m’étais attendu à trouver une blondinette aussi sympathique en lui mettant un coup sur le crâne, je l’aurais fait dès le début.
Bon, il faut bien avouer que voir sa douleur, je veux dire l’entendre et presque la ressentir par le flux des émotions, c’est quelque chose. Je ne reste pas tout à fait de marbre en la voyant souffrir. J’ai un mouvement de recul vite contrôlé. J’ai fait un pas en arrière lorsqu’elle a crié et… je suis revenu. Pour lécher l’alcool qui coule, oui. C’est dégueulasse ? Bon, passons. Je ne relâche son bras qu’en la voyant me supplier du regard. À moins que ce ne soit pas une prière. C’est autre chose qui me fait hésiter entre folie et soumission. Mais, encore une fois, je peux me tromper. C’est cette idée qui m’a poussé à la garder prisonnière. Sauf que…

«Te détacher ? Tu es sûre de ton choix ? Et si la douleur était trop forte pour toi...»

Lentement, sans quitter ses yeux, sans en éloigner les miens, je suis monté sur le lit. Et bientôt, c’est à cheval au-dessus d’elle que je suis, une jambe de chaque côté de son bassin. Je la surplombe ainsi, après avoir viré la couverture sans tergiverser. En fait, il est clair que j’ai un avantage sur elle. Il pourrait être décisif. Moi, je ne suis ni nu, ni attaché. J’ai tout loisir d’agir à ma guise. C’est pourquoi je me baisse, mon buste en chemise venant presque frôler le sien. Mon visage approche de ses lèvres, de son regard de serpent.

« Je pourrais m’occuper de soulager ton corps et te faire oublier la Marine, les pirates, la douleur, ces liens qui te tiennent… »

Je reste à sa hauteur, ne faisant pas pire, pas mieux. Sauf que si une main me sert à garder un appui sur le lit, l’autre attrape la corde qui restreint son bras valide. Sans regarder, je défais le nœud. Advienne que pourra, maintenant.

Cet affrontement devient étrange. Plus sensuel et langoureux qu’un combat, plus patient et attentif qu’un interrogatoire, plus poussé et trompeur qu’une simple guérison. En allant au-delà de ma visée initiale, je suis en train d’oublier mes premières ambitions. Nous sommes à la poursuite du Sloop William, ne l’oublions pas. Un navire rapide qui ne doit pas m’échapper. Je devrais peut-être plutôt me concentrer dessus, puisqu’à la différence de son embarcation, cette petite n’a pas les moyens de me fuir… Mais non. J’ose esquisser un sourire en scrutant ce visage avenant.

«Faire mon travail de capitaine, peut-être. Apprendre la discipline à mes sujets…»

Mes doigts viennent effleurer ses lèvres, glissant dessus doucement. Cette autre main libre, qui a détaché la sienne, s’en empare maintenant, avec ce qui semble être de la délicatesse.

«En tant que requin, je devrais déjà t’avoir mangé. Pourtant… je suis peut-être plutôt ce kraken que vous craignez tant, vous autres pirates… »

Mon avantage sur elle, c’est de la tenir et d’avoir beaucoup plus de possibilités. J’ai bien plus de bras qu’elle, quand on y regarde bien, je peux tirer toutes les ficelles et manipuler tout ce qui me plait. C’est là mon lot d’officier de la marine. Nombre d’hommes à ma botte et cette esclave à mes pieds. Une cuisinière, hein…
Lentement, mais fermement, je ramène sa main plus haut, suivant les fines courbes de son ventre pour venir à sa poitrine. Sur son sein, mes doigts se posent sur les siens. J’englobe ce délicieux morceau de chair et la faisant y tenir elle-même, à la manière de si elle voulait protéger son corps. Mais qu’a-t-elle à craindre ? Jusqu’ici, je ne lui ai fait de mal.
Alors je la relâche, descendant sur le lit à hauteur de ses hanches. Plus bas, j’arrive de chaque côté de ses jambes pour les lui prendre et les lever vers le ciel. Dans ce geste, il n’est pas inenvisageable que son fessier se soulève. Prenant le couteau qui tient à ma ceinture, je tiens ses pieds un instant, les ayant au niveau de mon visage, et coupe la corde. Mes lèvres effleurent la peau de sa jambe, glissant sur sa cheville, se posant à peine dessus.

«Pourquoi tiens-tu à en être une ? Si tes talents sont si grands et se révèlent intéressants, j’aurais bien plus à t’offrir que de vagues rebelles des mers.»

Je garde ses chevilles un temps et ne les lui rendrait qu’après sa réponse.

Oh oh oh, la demoiselle deviendrait-elle soudainement folle ? Désinhibée, à ce que je vois. Ses gestes, même s’ils ne gagnent pas en grâce et ressemblent à ce que j’imaginais d’elle, ne sont pas dénués de dextérité. Ni de prestance. Elle est douée, pour avoir ainsi repris ce qui ressemble à du contrôle. Je suis sur le cul. Et pas que littéralement. Elle a bondit sur moi et me tient maintenant comme si j’étais le prisonnier. Peut-être ai-je une arme à la main, sous forme de couteau, mais ça ne servira à rien. Je n’en ai pas besoin. S’il est une menace, eh bien tant pis. La lame glisse d’entre mes doigts et vient se planter dans le bois du plancher.

«Crois-tu vraiment qu’une pirate pourrait me soumettre ainsi, de son regard envoutant ? Aurais-tu la voix plus suave encore et le teint plus frais que je n’abandonnerais pas ma volonté de faire changer de cap. Tu ne l’emporteras pas si facilement. »

D’accord, je ne bouge pas, ne me débats pas et ces paroles restent des mots. Mais quand même. Ma main et mes doigts effleurent la pointe de ses seins. L’une après l’autre, doucement, sans plus de violence que ça, ils dessinent sur ce corps nu des images qui me traversent l’esprit. De l’autre main, je copie ce geste qu’elle a. Je caresse sa joue. Je me balade sur ses traits et sur la pureté de son corps qui me semble au sortir de l’adolescence. C’est une jeune fille pleine d’envie et au fougueux tempérament. Le défi n’en est que plus grand.

«Je pourrais très bien ne jamais te laisser partir. Que penses-tu qu’il arriverais si tu n’avais de cesse de t’enfoncer dans la gueule du requin à chaque fois que tu tentes de t’en défaire ? Tu voudrais t’éloigner, me fuir et ne fais que te rapprocher toujours plus.»

Mes mains claquent soudainement sur ses fesses à la chair si tendre. Je souris en coin, amusé d’être si près d’elle et d’avoir en ma possession une pirate pour qui le terme farouche sonne assez singulièrement. Je m’efforce de redresser ma tête et embrasse son joue, soufflant doucement dans ses cheveux sans perdre mon amusement grandissant.

Cette jeune femme est assez intéressante. Mais au fond, quand on y regarde bien, ce n’est qu’une gamine. Une petite fille égarée, perdue dans ce monde de grand, qui cherche désespérément quelque chose à quoi s’accrocher. Là, notamment, ce sera moi. Mon haut, finalement. Je comprends son sérieux. Je réalise qu’elle n’a rien et, au-delà d’être totalement dépourvue, qu’elle a clairement tout perdu. La voici avec moins que rien. Que répondre à ça ? Que puis-je faire sinon lui assurer quelque chose qu’elle n’acceptera jamais. Ma protection ? Pfeuh. Même si je la couvrais d’or, ça ne changerait rien. Son aide, la possibilité de détruire l’équipage du Sloop William ou mener un combat décisif contre la piraterie, c’est pourtant peu demander. Elle ne mérite probablement pas mon offre. Elle devrait revoir ses ambitions à la baisse. Ce n’est pas comme si j’allais lui proposer de réaliser son rêve…

«Tu es une petite chose qui n’a plus de repaires. Le Sloop William est pris en chasse par toute une flotte de la Marine. Bientôt, il ne sera plus. Mais toi, tu continueras à vivre. Alors, c’est peut-être pour ça que je cherche à t’aider. »

Je bluffe un peu, c’est vrai. Gentiment, pour essayer de la convaincre sans mentir de trop. Au bout du compte, même si nous ne détruisons pas l’équipage de son navire, semer le trouble dans son esprit pourrait l’amener à revoir au moins légèrement son jugement. Je me redresse alors, me retrouvant assis, appuyé sur mes bras. Longuement, j’observe son regard d’émeraude pâle. Je scrute ses épaules, son ventre tout aussi blanc et frais.

«Je n’ai pas spécialement envie de te forcer ou de te mener la vie dure. Mais sur ce bateau et dans ce monde, on n’obtient rien sans rien. Ni en ne trouvant sa propre place, ni en liant les relations qui conviennent. Me penses-tu être ton ennemi ? »

Ma main caresse doucement sa joue. Puis, paisiblement, elle finit par glisser dans son cou, ses doigts parcourant sa gorge jusqu’à prendre son sein. Ils le soupèsent, alors que mes yeux n’ont su rester dans les siens. Ils ne peuvent s’empêcher d’admirer. Pourtant, ceci ne dure pas. Je prends son bras et l’attaque contre moi, contre mon torse, l’enveloppant un peu de cette large veste de capitaine. Je hume ses cheveux et songe à l’apaiser un peu. Ce ne serait jamais que reculer pour mieux sauter. La situation est plus simple pour moi que pour elle. Autant en profiter un peu, alors. Pour le moment, je fais le moins. Il ne tient qu’à moi de faire le plus. Quoiqu’elle est encore sage et ne mérite pas que je la corrompe de trop. Ma main sur sa cuisse, avec lenteur, je souris.

Cette fille est un ange. Un vrai petit ange. Quelle bonne idée j’ai eu de l’assommer. Il me vient à l’idée, maintenant, que je commets une chose effroyable en essayant de la corrompre. Ce serait tellement triste d’abîmer ce plumage délicat, cette magnifique paire d’ailes qui la rend si libre et naïve, tellement juvénile et attirante. Je suis content d’avoir ce petit bout de femme contre moi, à ce moment, pour songer à toute ma vie dans la… Marine. Eh ouais, ce n’est pas dans la piraterie. On pourrait croire qu’il faudrait un diabolique escroc ou un enfoiré de séducteur à la belle gueule ou aux beaux mots sur un air d’accordéon dans un climat paillard pour avoir cette blonde. Mais non, je ne suis qu’un odieux marin, capitaine de vaisseau, officiellement son ennemi. Ça doit avoir moins de gueule de représenter l’ordre et non l’émancipation, le pouvoir plutôt que la curiosité, la découverte. Tout ça, tout ça. Si je ne l’ai eu, ce n’est que par un coup de force. Bon… voilà qui rend humble. Mais, elle vient de poser ses lèvres sur les miennes, non ? Je n’en reviens pas tout à fait. Pourtant, dans le son de sa voix, je crois qu’elle est plutôt bien, là. J’aimerais la garder dans mon manteau, contre mon torse, ad vitam aeternam. Si seulement je parlais latin pour pouvoir le lui dire… Le comprendrait-elle ?

«Il me viendrait presque l’envie de te voir revenir chaque fois que je te relâche ou que tu t’échappes, comme une douce et belle colombe… »

Je divague et regarde ma main. Elle a parlé de mes doigts et j’observe ces derniers. Je prends mon temps, tournant mon poignet, le retournant, bougeant chacune de mes phalanges comme pour en saisir tout le charme. Elle a sûrement raison, j’ai des doigts d’artiste. Enfin, c’est surtout qu’il suffit de prendre présentement soin d’elle. J’ai simplement mon bras en travers de son ventre, la gardant contre moi sans la forcer.

«Mais toi non plus, tu ne me connais pas, Jules. »

Ma main retombe presque mollement sur sa cuisse. Encore, je sens sa chevelure. Il est vrai qu’elle sent la pirate. Entre la rose et l’eau de mer. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus enivrant, mais la demoiselle prend tout de même plein soin d’elle que n’importe quel vieux loup de mer. Quelle genre de cuisinière est-elle ?

«Je t’interdis évidemment de mourir, tu es bien trop jeune et pure pour faire les frais de la guerre à ton âge. Mais, même si je vais te rendre ta liberté, tu dois être consciente que ça ne se fera pas sans rien. Je joue mon honneur de capitaine, vois-tu ? Que me donneras-tu que je n’ai encore, toi qui a si peu de choses ? Songes-y. »

je caresse sa cuisse tendrement, faisant glisser mes doigts aléatoirement, sur son ventre ou ses jambes, jusqu'à ses pieds ou son nombril. Parfois, ils remontent et dessinent autour de sa poitrine. Tout ça n'est qu'un jeu, n'est-ce pas ?

Je la garde contre moi mais ça n’avance pas à grand-chose. Je sais ce que je veux faire d’elle. Je sais où, quand et comment m’occuper d’elle. Je n’ai plus grand doute à son sujet. Calmement, je joue donc sur sa peau comme s’il s’agissait du plus délicat des terrains d’amusement. Je me divertis, la serre doucement contre ma personne et approche bientôt mes lèvres de son cou. Je hume sa nuque et ses frêles épaules. Je masse doucement ses seins en les soupesant. Pourtant, vient un moment où elle me semble plus agressive et rebelle qu’avant. Je plisse donc les yeux et écoute chacune de ses paroles. Jusqu’à ce qu’elle soupire. Là, il est temps d’agir.
Lorsque j’attrape son bras, c’est assez subit et imparable, je crois. De toute façon, pourquoi serait-elle sur la défensive ? Je bloque ses mouvements, ses faibles attouchements et la tire pour qu’elle pivote. Je reprends le dessus. En deux secondes, je suis au-dessus d’elle.
 

«Ce que je veux ? Ton petit cul. Et que tu me donnes ta parole que tu me seras aussi utile que possible, autant que tu pourras m’être agréable. »

 
Je sais la dominer de ma personne, notamment parce que je suis plus massif et habillé qu’elle. Mais aussi, j’ai l’avantage d’avoir les mots qu’il faut sur mon bateau, les moyens de moyenner et la connaissance des arguments possibles. Mentir, bluffer, n’est pas en option. Seulement, je veux en arriver à mes fins, pouvoir l’utiliser et en savoir plus sur ce maudit navire. Pas forcément le détruire, mais être celui qui en connait davantage. Avoir un temps d’avance est mon crédo. Et je gagne forcément quand il faut jouer.
 

«Tu es bien impatience, jeune fille. Pourtant, tu es au seul endroit sur cette Terre où il ne peut rien t’arriver. Il suffit que cette porte, là, s’ouvre pour qu’aussitôt plusieurs dizaines de mes gars aient bien envie de te sauter. Et crois-tu que je devrais les en empêcher ? Mon pouvoir n’est absolu que si j’ai réellement à y gagner. N’importe où, en mer ou à quai, tu ne serais qu’une proie alors que présentement tu es MA protégée… »

 
Chemin faisant, mes doigts descendent sur son ventre. Ils viennent sur son mont de Vénus, en frôlant les reflets. Quand à ma main, derrière son crâne, elle attrape sa blanche chevelure dans sa nuque et porte son visage au mien, ses lèvres à mon sourire. Je suis enjoué, l’embrasse et fini par mordiller son renflement si goûtu. Déjà, cependant, mon index s’aventure plus loin. Il caresse l’entrée de son bassin pour y entrer légèrement. Pas d’empressement mais pas d’esquive. Il passe et… un détail vient à mon esprit. Je peux me tromper, bien sûr…

Dans la vie, il est des choses que l’on peut anticiper, contrôler, ajuster à sa volonté. Et il en est d’autres qui nous échappent. Pour ma part, bien que comprenant parfaitement la différence entre les deux, je fais partie de ceux qui tentent de planifier et toujours tout prévoir. Je suis un homme réfléchi, un être calculateur et ambitieux. Je veux que les évènements se déroulent de la façon la plus proche possible de celle que j’attends. Aussi, avec cette blondinette, c’est une drôle d’affaire.
Effectivement, je suis allé trop loin, mais il est des détails qui y poussent. L’agacement dont elle fait preuve en est un, bien que mince. Le second est sûrement qu’elle a effectivement un joli petit cul, des seins joliment dessinés, une bouche qui ne demande qu’à être happée. Comment y résister ? Et surtout, pourquoi le faire ? Je sais qu’elle n’en mourrait pas, que cela me ferait un bien fait au beau milieu de ces jours ô combien sombres et tristes. Et puis, il y a cette impression qu’elle m’a faite, bientôt confirmée par ses dires.
Bon, dans un premier temps, je me retrouve à reculer subitement, subissant un assaut de salive. Elle m’a craché dessus ? Oh, moi qui pensais être celui qui le ferait sur elle… Je ne la vois certainement pas telle une pute, mais son attitude aguichante et rebutante à la fois me pousse naturellement à chercher les extrêmes. Surtout maintenant qu’elle m’a gentiment frappé. Roulant sur le lit, me tenant le visage et bientôt le ventre, je m’arrête souvent. Reniflant, dans cette douleur relative, je lève la main et vois qu’il n’y a pas de sang. Je me frotte, me masse un peu le ventre, mais c’est à peine si elle a stoppé mes montées d’adrénaline et descente de liquide vital dans  cette zone plus basse. Je souffle encore du nez mais ça va. Alors il est temps de me relever. Effectivement, le spectacle est amusant. Une vierge effarouchée, à poil, mon petit couteau à la main. Ce n’est même pas une arme, c’est un couvert affuté.
 

«Tu veux dire que tu es une pucelle ? Toi, du haut de tes vingt-quatre ans ? Avec cette croupe que tu te payes et ces yeux de biche ? »

 
Je ne suis pas agressif en m’asseyant sur le lit. Je m’approche lentement d’elle, sans risquer de la brusquer davantage. Je veux seulement comprendre. J’ai bien senti que son corps offrait une délicieuse résistance. Elle est une pirate vierge. J’ai envie de dire « on aura tout vu. »
 

«Alors c’est bien ce que je pensais, les pirates sont tous des eunuques en puissance. Tu ne comptes même pas te faire prendre sauvagement par l’un d’eux, auprès de qui tu jetteras ton dévolu parce qu’il te fera miroiter passion, aventure et sable fin ? »

 
Je suis debout. On a beau dire, je la domine d’une bonne tête et avance lentement, pas après pas. Retirant ma veste de capitaine que je balance sur un fauteuil au loin, je commence à déboutonner ma chemise, sur le point de l’enlever. Mon torse apparait et mon corps se trouve déjà un peu plus nu qu’avant, comme pour réduire les inégalités. Au cas où elle projetterait de m’attaquer, le vêtement pourrait constituer une bonne défense à sa lame.
 

«Donne-moi ça. Ne fais pas l’imbécile. Si j’avais voulu te violer, il y a longtemps que ce serait fait. »

 
Ma main reste tendue vers elle, l’autre étant prête à intervenir, éventuellement.
 

J’ai du mal à me dire qu’elle pourrait fléchir aussi facilement. Mais, en même temps, le fait qu’elle s’imagine que je capitule moi aussi est un non-sens. Que faudrait-il pour me voir arrêter, la laisser, l’abandonner ? Qu’elle se mette le couteau sous la gorge plutôt que sous la mienne, peut-être. Son possible suicide, l’achèvement de son désespoir, pourrait possiblement me gêner, à la limite. Mais là ? Elle est nue, faible, plus sur la défensive qu’autre chose. Eh quoi ? Je devrais jeter l’éponge ? Tsss… C’est bien le bruit que je fais. Tsss… je relâche un peu d’air entre mes dents et passe une main dans mes cheveux. Je soupire et secoue vaguement la tête. Cette situation n’a ni queue ni tête.
 

«J’ai pourtant été honnête avec toi, en ne te tuant pas, puis en te détachant. Mais tu oses encore jouer les dures et croire que c’est à toi de décider.»

 
J’avance vers elle, décidé moi aussi, et viens lui faire front. Je ne la touche même pas. Du moins, pas de ma main. Cependant, mon corps vient si près du sien que mon ventre rencontre la pointe de sa poitrine. C’est un contact presque électrisant. Je ne m’appuis pas sur elle mais sais qu’elle est là, sa présence ne fait aucun doute. Cela me suffit pour le moment, puisque je peux ainsi lui parler.
 

«Si tu me plantes, tu ne ressortiras pas de ce navire vivante. Pas même de cette cabine. Et imagine combien la vue du sang pourrait exciter quelqu’un qui parce un tel surnom que le mien…»

 
Mes mains, lentement, comme une proposition – de paix et d’autres choses – viennent auprès de son poignet et de son buste. J’approche mon front du sien. Je respire le même air et hume cette saveur qu’elle dégage.
 

« Actuellement, j’ai mille fois plus de raisons de me fier à moi-même que de te faire confiance. Tu es une saleté de petite pirate délurée, tueuse et sans une once de réflexion. Même toi, tu devrais davantage me faire confiance qu’à ton propre jugement. Pourtant… tu penses pouvoir t’en aller comme ça, que je vais te déposer à terre sans garanti, sans rien en tirer, alors que la simple admiration de ta pureté me suffit amplement ?»

 
Qu’elle propose quelque chose, si elle était si forte et déterminée. Parce que là, hormis le fait de recourir au poids des mots et à cet ultime décision qu’est la violence, je ne vois pas bien comment lui faire entendre raison.