J'en avais clairement d'enchaîner ces nombreuses missions. En vingt ans de carrière, je n'avais eu à exécuter autant de tâches. De plus, ce n'était pas question de mission de bas niveaux, mais bel et bien des missions où j'ai souvent faillit y laisser ma peau. Je pouvais concevoir qu'être vice-amiral impliquait des risques, mais ça n'avait jamais été à ce point. C'est depuis que la tête de la Marine revenait à une étrange personnage. Si j'étais amiral, j'aurais pu espérer échanger quelques mots avec ce dernier, mais il m'était impossible de le faire avec ce rang. Les amiraux devaient avoir des missions bien plus dangereuses que les miennes, du moins pour ceux qui sont encore en activité. En effet, quelques postes sont à pourvoir, étant donné que nous avions pu constater la disparition de certains d'entre eux. Morts ? Fugitifs ? Nous en avions pas la moindre idée. Le sort de la Marine m'inquiétait sérieusement. Entre mes enquêtes annexes et les missions, j'avais un rythme de vie très épuisant et je devais tout le temps me régler. Désolé pour mes hommes, mais je ne prenais plus le temps de rigoler avec eux, je ne le pouvais plus à présent. Je m'étais embarqué dans une histoire assez importante et dangereuse où je ne pouvais me permettre de risquer leur vie.

Nous avions pour mission de repérer un groupe de pirates et de les neutraliser, sauf qu'il était impossible d'agir avec une si petite armée. Comme de par hasard, tous les marins étaient dispersés dans tous les caraïbes pour des missions futiles à mon goûts. Encore une mission suicide. À qui était-elle attribuée ? À monsieur Anthony Rainworth, le type qu'on voulait voir « accidentellement » disparaître au cours d'une mission périlleuse. Que pouvais-je faire ? On allait se faire massacrer. L'équipage pirate que nous devions identifier était d'une grande renommée, une armada d'au moins une ou deux flottes, alors que je n'en avais même pas une à moi – qui est pourtant vice-amiral. Quand soudain, une frégate de la Marine était visible. Nous étions sur une plage de Tortuga, non loin de la ville, caché par des rochers (heureusement). Plus le bateau s'approchait, plus j'apercevais la silhouette du contre-amiral Wood. C'était un bon gars. Cependant, cela n'était toujours pas suffisant. Il devait disposer d'une centaine d'hommes, moi une cinquante contre le double ou le triple. Nous allions discuter d'une stratégie ensemble, du moins s'il venait pour les mêmes raisons que moi. De plus, c'était sans doute le seul à qui je pouvais parler de mes doutes concernant la Marine.


« Hoy ! Comment vas-tu ? Quel vent t'emmène dans ce trou à rats ? »

Il est des choses qui me dépassent. Le fait qu’un vaisseau de la marine soit localisé justement ici, sur l’île de la Tortuga, alors que je m’y rends en mission plus ou moins secrète, notamment. C’est assez déstabilisant. Non pas flippant, puisqu’il n’y avait vraisemblablement rien à craindre d’un confrère. Mais tout de même. Pourquoi ne m’ont-ils pas averti de ça !? Restant un temps dans l’expectative, j’observe ce navire auprès duquel nous voguons doucement et venons côtoyer. L’ancre est bientôt jetée, alors qu’un tremblement me fait savoir que nous touchons le sable. Ça se stabilise. Pendant toute l’opération, je n’ai fait que pivoter sur moi-même et suivre des yeux ce qui nous fait face. Un bateau de la Marine, et pas des moindres. Qu’est-ce que… ?!
Une silhouette est apparue sur le pont, nous regardons. Me regardant, plus précisément. Mes yeux s’ouvrent un peu plus grand. Eh bien, dites donc, on va de surprise en surprise, d’incompréhension en folie complète. C’est à moi qu’il parle ? Oh, putain, je le connais. Je suis sûr de l’avoir déjà vu. Rencontré, je veux dire. Ce n’est pas comme si je connaissais seulement son nom, son visage m’est assez familier. Sauf que ça coince. Je ne retrouve pas. Je l’ai vu où, ce marine ?
Durant ce qui ressemble à une éternité, à une dizaine de mètres de lui, puisque nous étions séparés par l’eau entre nos navires respectifs, j’ai eu comme un bug. J’avais beau chercher, ça ne revenait pas. Heureusement que mon fidèle second était là, et qu’il a su me glisser le titre de l’individu à l’oreille. Oh my gosh, un gradé !

«Anthony Rainworth… Je ne m’attendais pas à vous trouver ici, vice-amiral… »

Dieu que je déteste ça. Etre privé de mots et ne pas trouver quoi exprimer. Mon regard plein de mésententes chercha un temps quelque chose pour tâcher de comprendre et se rassurer. Mais rien à droite, ni à gauche, ne m’indiquait quoi faire. Revenant à l’observation de ce mystérieux personnage croisé je ne me souviens plus où, je m’efforçais de sourire. L’échelle de cordes se trouvait dorénavant en place et je m’affairais donc à descendre rejoindre la terre ferme. Ou plutôt le sable. De l’eau jusqu’aux genoux. Ce sera plus facile de parler à quai. Je cherche Rainworth de mes sombres pupilles. La situation a besoin d’être éclaircie.

Que faisait également ici un contre-amiral ? C'était à n'en plus rien comprendre. L'expression de son visage montrait clairement qu'il était en pleine réflexion et qu'il ne comprenait pas tellement la raison de nos présences en ce même lieu. En plus de cela, ce cher Wood ne semblait pas me reconnaître, car d'après ce que j'avais compris, c'était son second qui lui avait soufflé mon nom et mon rang. Qu'importe. Nous n'étions pas là pour faire dans le social.
Le soleil commençait à se coucher, nous devions agir au plus vite ou attendre le lendemain au risque de les perdre. Nous étions environs cent-cinquante hommes, ça commençait à ressembler à quelque chose. Les pirates ont pour habitude de se bourrer la poire dans des bars, reste à trouver le bar. Cependant, les hommes les plus subtiles, agiles et intelligents ne fréquentent pas spécialement ce genre d'établissements. Il va falloir fonctionner en équipe. Et, j'avais une affaire à éclaircir.


« Vue l'expression de ton visage, ma présence est une surprise ? J'ai encore deux questions. Quels genres de missions as-tu ces temps-ci ? As-tu remarqué la hausse des hauts gradés corrompus ? Ces phénomènes en hausse m'inquiètent vraiment pour l'avenir de la Marine. Nous devrions en discuter avec Maximilienne et Victoria, je pense que nous sommes les plus fiables à l'heure actuelle. »


Voila, il connaissait mes pensées les plus sombres, nous allions pouvoir nous concentrer sur notre mission. Avant que cela puisse faire, j'attendais qu'il réponde à mes interrogations, ça déterminera certainement la suite de notre aventure. J'avais quelques doutes avec le commodore et un lien éventuel avec les pirates. Je devais en discuter avec James.

Spoiler:

Je suis à terre. J’ai tendance à vouloir marcher vers le sable, me mettre au sec, mais ce n’est pas forcément l’objectif de mon supérieur. Pourquoi ? Que veut-il donc ? J’ai pourtant horreur d’avoir de l’eau dans les bottes et de me retrouver à barboter. Nulle part ailleurs je ne suis aussi bien que sur terre, les pieds au sec. Alors ?
Il me force à lever les yeux vers son bord. Sur ce large navire presque collé au mien, le vice-Amiral Rainworth me parle. Il évoque des choses me poussant à froncer les sourcils plus qu’à sourire. Je n’apprécie pas forcément d’entendre de tels propos. Ils semblent voués à me tester. Serait-ce là son but ? Je reste un moment la tête levée, à l’observer, alors que ça s’agisse derrière moi pour débarquer tout un tas de matériel.

«Vice-Amiral… pensez-vous vraiment que l’heure soit venue parler de ceci ? Je veux dire, présentement… »

Ce n’est pas que ça me gêne. Non, loin de là. Je suis toujours le premier, en ce qui concerne l’attrait pour écouter les autres et leur avis. Mais là, je doute un peu de la pertinence de cette info. À moins qu’il n’ait raison. Ou à moins qu’il ne me juge. Qu’est-ce donc là, un test de loyauté ? Une invitation à la réflexion ? Se peut-il que l’on nous ait volontairement éloignés et donné à tous deux une mission assez complexe, hors de Santa Rosalia ? Je n’en sais rien mais l’idée me perturbe. Les bras croisés, à secouant lentement la tête d’incertitude, je finis par lui crier :

«L’Amiral m’envoie apparemment chercher et capturer un pirate dont la tête est mise à prix. Un certain Barbe Noire, il me semble. »

Attendant quelques instants qu’il me réponde ou non, je m’éloigne bientôt vers le sable sur lequel je me laisse tomber. Il faut vider mes bottes et rendre la mer à la mer.

Arf, me voilà à présent seul dans ce lourd que je devais porter encore longtemps. C'était certainement le seul haut gradé avec qui je pouvais parler de cela, mais c'était malheureusement peine. À qui pouvais-je en parler ? Agir tout seul serait du suicide. Je sentais pourtant que je n'allais pas avoir le choix, si les autres agissaient tous de la sorte. L'ignorance, aussi inconscient soit-il, preuve avec James qui ne voulait pas être désagréable, est facteur bien ennuyant à gérer. Je demandais à mon bras droit une de ses bouteilles rhum dont lui seul avait secret, très sucrée et facile à boire, une expédition longue et agréable dans l'ivresse. Je m'asseyais maintenant face à la plage, observant ce magnifique couché de soleil, à présent dos au contre-amiral. La tristesse m'envahissait. J'étais pourtant au fond de ce trou, mais je continuais de creuser. Je levais la bouteille en guise de réponse.


« Fais comme bon te semble, cher ami. »


Une réponse qui aurait pu en agacer plus d'un, mais je ne pensais pas à ce moment que James était l'un de ces personnages facilement vexé. Même dos à moi, je sentais tout de même sa réflexion. Mes paroles n'avaient peut-être pas été vaines. Avaient-elles eu un quelconque impact ? Je n'avais besoin que de cela pour l'instant. Malgré mes questions, j'écoutais ce qu'il me disait, puis je me pris un coup de massue, encore une fois... J'en avais recraché ma dernière gorgée de rhum. Avais-je bien entendu ? Il avait bien dit Barbe Noire ? C'en était trop. On m’envoie dans une traque à l'inconnue et ce cher James que l'on envoie également dans une mission suicide, bien que plus informé, me dit que nous devons faire face au plus grande pirate ou criminel – je ne sais comment le définir, de l'humanité toute entière. Je continuais de boire. Le soleil était quasiment couché.


« Et que penses-tu faire, mon cher ? Prendre ton courage à deux mains et t'occuper de lui comme n'importe quel pirate ? Si tel est ton objectif, abandonne de suite, car tu n'en ressortira pas. Ce sont des pirates – je cite bien tout l'équipage en disant cela, qui possèdent une expérience et des aptitudes qui dépassent l'entendement. »


J'avais autrefois eu la chance de les affronter aux côtés de l'Amiral, nous avions tous péris. J'avais à peu près le même âge que Davy Howell, qui était un plus âgé que moi, que j'avais combattu lors de cette bataille. Disons que je n'ose même pas savoir ce dont est capable Barbe Noire, malgré son âge, quand je vois que le vice-capitaine aurait pu me tuer, autrefois. Ce scénario ne reproduirait certainement pas de la même façon, mais qu'en était-il de nos hommes ? Ils vont se faire massacrer lamentablement, puis nous aussi par la même occasion, leur nombre est impressionnant.


« Tu comptes réellement y aller avec si peu d'hommes ? Je ne pense pas vouloir entraîner mes hommes là-bas, du moins pas maintenant. »

Je ne crois pas qu’il bluffe, ni qu’il s’agisse d’une bêtise. Le vice-amiral Rainworth est quelqu’un d’assez important, pour autant que je puisse le connaître, mais cela ne l’a pas rendu arrogant ou élitiste. Il n’est pas hors de portée et ne cherche pas à me tromper. Enfin, je ne le crois pas. Nous verrons, quoi qu’il en soit.
Je le scrute, vidant mes bottes, alors qu’il répond. Apparemment, l’idée de mener cette opération ne l’intéresse pas. Elle l’effraie peut-être. J’ignore ce qu’il compte faire mais… mes sourcils se froncent, à force de rester dans le doute. En me relevant, je me mets à marcher vers lui. Il boit. Il parle. Il est de dos. Je dégaine mon sabre dans un bruit caractéristique.

«Que comptes-tu faire, toi ? »

C’est Presque dit entre mes dents. Je soupire et sens mes nerfs se tendre, un peu à vif, les lèvres serrées. Ce n’est pas que tout ça m’agace, mais tout de même. L’arme tendue vers lui, proche de son dos, orientée vers sa nuque, j’attends. Des soldats de sa troupe descendent d’un pas alerte. Ils n’ont pas l’air d’apprécier ce qu’il se passe et voient là une menace envers leur supérieur. Et le pire, c’est que ce n’est pas faux. Je le menace bel et bien. J’ai besoin qu’il me réponde et me donne une idée de la suite. On ne peut pas rester comme ça. Deux officiers de la Marine sur une plage de Tortuga, ce n’est pas tout à fait courant. Mon bras reste tendu, prêt à frapper, éventuellement, bien que ce ne soit pas le but.

«Si nos ordres sont en contradiction avec nos propres capacités, alors que devrions-nous faire ? Courir au suicide ou semer la révolte dans les rangs ? »

De mes hommes pointent les siens de leurs pistolets ou arquebuses. C’est réciproque. Plusieurs gars sont déjà là pour m’encercler à bonne distance et protéger le vice-amiral. Voyons voir comment ceci va tourner.

J'entends James qui s'approche de moi discrètement, vidant ses bottes, m'observant sans doute avec mon attitude nonchalante, puis un son assez familier se fait entendre. Un son que j'effectue tous les jours, régulièrement. Une habitude pour être plus précis. Ce son semble provenir du frottement de son fourreau et de son sabre. Je ne vois pas d'ennemis face à moi, nos hommes sont bien placés aux alentours, j'en déduis que c'était bel et bien pour moi. Tente-t-il de me menacer ? Je vois mes hommes, armés, assez mécontents, visant l'homme qui se trouve derrière moi. Les hommes de ce dernier visent mes propres hommes. Cette situation tourne sérieusement au ridicule. Les hommes de James sont bien plus nombreux, on se ferait tuer en quelques tirs.


« Baissez tous vos armes, je vous l'ordonne. Ce que je compte faire ? Seulement vérifier s'il s'agit bien de Barbe Noire. S 'il s'agit de bien de lui, je plierai bagages et ferais demi-tour. »


Je me relève difficilement. Mon bras droit souhaite m'aider, mais je lui fais signe de ne pas se déranger pour si peu. Je bois le fond de cette ce somptueux mélange de rhum et sucre de canne, puis je jette la bouteille sur le côté. Je regarde les derniers instants du soleil qui se couche, laissant apparaître les premières lueurs de la nuit, les bras croisés. C'est assez beau si l'on prend le temps de contempler cela. Ceci étant fait, il était temps de passer aux choses sérieuses. Je me retourne et je m'aperçois que James est prêt à m'attaquer. Au début, j'esquisse un sourire, puis je suis prit d'un énorme fou rire. Quelle ironie. Je soupçonne déjà la Marine de vouloir éradiquer certaines personnes, alors si en plus on s'attaque entre nous, alors où va-t-on ? Je me recoiffe. Je reprend peu à peu mon sérieux. Les hommes qui tiennent autour de nous ne doivent pas tout comprendre, il est vrai qu'ils ne font qu'exécuter les ordres venus d'en haut. Mes pauvres loulous, j'aimerais de meilleures conditions pour vous. Bref, je dois m'expliquer avec cet homme impatient.


« La réponse se trouve dans ta question. Ce que je propose est simple. Cachons nos navires, laissons la moitié de nos troupes, si ce n'est plus pour les protéger au cas où, et allons confirmer la position de Barbe Noire. Puis... Ce genre de menaces ne fonctionnent pas, je pense plutôt que tu as agit ainsi inconsciemment, guidé par tes impulsions. Contrôle-toi, James. »


Il faut également penser au rapport que nous devrons faire à l'amiral, s'il compte en recevoir... Cette affaire me déplaît. Il fallait d'abord réglé cette faire avec Barbe Noire, puis s'occuper des doutes qui sommeillent en nous, concernant le commandement de la Marine.

La réaction du vice-amiral est la bonne. C’est celle que j’ai attendu et espéré. Il aurait été fou de se lever pour dégainer et déclencher le combat. Parce que je ne le cherche aucunement. La menace n’est qu’un moyen comme un autre de mettre la pression à cet homme. Je m’y essaie, au rythme de faire front à tout ce qui est hiérarchie et principes de la Marine. Mais les temps étant ce qu’ils sont et ses paroles n’ayant pas réellement fait les louanges de notre bonne vieille amirauté britannique, je crois que mon choix fut le bon. Rainworth n’est pas agressif. Il veut me dissuader. Haha, c’est déjà fait, avant même qu’il n’ait à le dire. Je rengaine en un modeste sourire. Tout ça ne m’amuse pas vraiment.

«Je ne suis pas inconscient. C’est toi qui semble ne pas bien comprendre. »

Il est temps que je fasse quelques pas, me dégourdisse les jambes et songe un peu à la suite. Comme il le dit, nous devrions être prudents et ne rien tenter d’imbécile. Pourtant, je ne sais à quel degré lui faire confiance. Parce qu’il est tantôt trop empreint de doutes, tantôt trop sûr de lui, je reste pensif. Songeurs, mes yeux se tournent vers lui.

«Et depuis quand doutes-tu de mon self-control ? Je n’allais certes pas t’arracher la tête ici et maintenant. Cela ne m’aurait apporté ni grade, ni compassion supplémentaire de la part des pirates ou de nos chefs. »

Marchant tranquillement, je tourne en rond dans le sable et me mets à observer l’arme à feu entre mes mains. Avec ça, je suis sûr de pouvoir atteindre n’importe qui à bonne distance, mais le bruit qu’il fait est audacieux. Ce n’est donc pas avec que j’aurai ce cher Barbe Noire. Reste à trouver autre chose. L’observation est certes une bonne chose, mais je vois mal notre état-major se contenter de ça. Le gradé qui se trouve en ma compagnie pense t-il réellement que nous sommes là par hasard, pour une mission suicide ?

«Il y a plusieurs possibilités qui pourraient corroborer notre présence ici. Un commando-suicide pour éliminer Barbe Noire et se débarrasser de nous par la même occasion, ou bien un évènement se passant présentement à Santa Rosalia, dont nous ignorons totalement la teneur et où notre présence n’est pas la bienvenue. »

Plutôt que de parler de corruption dans la hiérarchie, je pense plus aisément aux espagnols. Je ne les aime pas et ne crois pas qu’ils m’apprécient eux non plus. Être placé dans leur juridiction ne m’arrange certes pas.

La situation s'est enfin stabilisé. Notre cher ami rengaine son arme, puis esquisse un léger qui n'est guère démonstratif. C'est un garçon à peine plus jeune que moi et on dirait pourtant qu'il est mon chef. Il ne passe pas par quatre chemins, il va droit au but. Une qualité en soit, comme un très vilain défaut qui peut causer sa perte. D'ailleurs, selon lui, je manque de compréhension de cette situation. Hum ? Really ? No sé. Souhaite-t-il peut-être tester mes nerfs, mais je suis sans doute le plus calme de cette génération d'aventuriers. Il n'empêche que notre reste toujours des plus délicates. James se met en mouvement, il avait besoin de se bouger et je sens qu'il s'agace de plus en plus. Il me regarde également d'un air assez songeurs, c'est à croire qu'il doute de moi. Quel est l'intérêt de raconter toutes ces histoires si c'est pour être contre lui ? Cela n'a strictement aucun sens. Bref, passons, me torturer l'esprit serait rentrer dans son vilain jeu perturbateur. Alors en pleine réflexion, j'entends légèrement des termes comme « doute » et « self-contrôle ». Je préfère ne pas répondre. Cet homme que je connais depuis marche sur cette belle plage – dommage que le reste ne le soit pas, avec une arme à feu qu'il observe. Il est devenu bien songeur depuis quelques temps.


« Tu es donc conscient que certaines choses ne sont pas claires ? S'il se trame réellement quelque chose à Santa Rosalia, ce n'est plus de notre ressort. Nous n'y arriverons pas à temps. Cependant, Maximilienne et Victoria s'y trouve, deux jeunes femmes talentueuses que tu as certainement déjà rencontré. Quant à notre affaire, vérifions si Barbe Noire est réellement, puis partons rapidement voir si tout se passe bien à Santa Rosalia. »


Son idée n'était pas fausse. Deux hauts-gradés, alors que nous sommes en sous-effectif, qui plus est, même pas au courant du lien qui relie leur mission. Très louche. Très douteux. J'espère que tout se passe bien pour le reste de la Marine, je pense à mon pauvre McBride que je n'ai pu affecté à cette mission. Étrange, quand j'y repense. Il a toujours été avec moi et il n'y a jamais eu de soucis avec cela. De toute façon, nous avons une vérification à faire avant de partir.


« James, prends seulement quelques hommes et partons en civils, nous passerons inaperçus. »


La discrétion est tout un art. Un art que je ne maîtrise pas forcément.

Les bras croisés, mon arme revenue à ma ceinture, j’écoute cet homme. Je ne dis pas avoir raison, mais mes déductions me paraissent plutôt logiques, et je suis assez content qu’il y entende quelque chose. Souriant légèrement, je l’observe longuement, restant d’abord à quelques mètres de lui. Mais je pense que notre collaboration à tous deux pourrait mener autre part que dans l’impasse.

«J’ignore si mademoiselle Vinter et sa suivante sauront se dépatouiller, au cas où la situation tourne au vinaigre à Santa Rosalia. Mais il faut compter dessus, j’imagine.»

Je fais deux ou trois pas, venant dans sa direction et ne quitte pas son regard. C’est un type étrange, dans le fond. Il a l’air plutôt calme, me considère vaguement comme son égal et nous nous tutoyons mutuellement. C’est là une drôle de relation avec un supérieur. Mais il me faut l’accepter et je le fais avec plaisir.

«Roger, rassemble cinq gars qui ont suffisamment dormi cette nuit et dis-leur de me rejoindre. Je te laisse les commandes jusqu’à notre retour, à moi et au vice-amiral. »

J’ai à peine quitter le haut gradé des yeux en prononçant ces paroles pour mon second que, déjà, je reviens à lui.

«Si les espagnols sont dans le coup, ce qui ne m’étonnerait qu’à moitié, nous risquons d’avoir des problèmes à revenir. Mais… je prends le risque, si c’est avec vous que l’aventure se passe. J’espère que nous pourrons nous fier l’un à l’autre.»

Amicalement, j’aurais aimé lui tendre la main pour placer cette volonté sous de bons augures et inaugurer un début de fructueux partenariat. Seulement, la hiérarchie m’empêche d’être si proche de lui. D’accord, je l’ai modestement menacé de mon arme, mais le contexte était bien plus incertain. Là, nous avons un semblant de but et pouvons faire front commun. Je retire ma veste de capitaine, froisse un peu ma chemise, remonte mes manches, fais des ourlets à mon pantalon et ébouriffe mes cheveux. Je crois que ça suffira. De toute façon, si un type me reconnait, c’est foutu.

Je suis assez songeur. L'hypothèse qui émane de lui est tout à fait plausible, bien qu'un peu « gros ». La plupart des britanniques, je n'en fais pas parti, déteste profondément les hispaniques. C'est un conflit bien connu et il n'est guère surprenant qu'un britannique balance de telles choses. Cependant, ça reste totalement possible et ça met la Marine dans une belle pagaille. Quoiqu'il en soit, s'il se trame quelque chose à Santa Rosalia, j'espère que Maximilienne et Victoria feront le nécessaire. J'espère qu'elles s'en sortiront indemne. Je reprend mes esprits, puis j'observe James d'un air sur moi.



« Elles y parviendront. »


Puis pour une raison inconnue, je me demande si j'effectue correctement mon rôle de vice-amiral. Suis-je correct ? J'essaie de rester naturel. D'être courtois avec tout le monde, de prendre tout le monde sur le même pied d'égalité.Je tutoie tout le monde et tout le monde me tutoie. C'est l'utopie dont je rêve. Un monde où règle l'égalité. Arg, je suis encore perdu dans mes réflexions inutiles. Le contre-amiral donne ses recommandations à ses hommes, tandis que les miens sont déjà en place – il est vrai qu'ils me connaissent assez à présent. Et assez étonnement, James me dit que malgré le danger que l'on encourt tous les deux avec nos petits hommes, il espère pouvoir se fier à moi et que tout se passera dans les meilleures conditions possibles. Qu'il est mignon. Je le prend par le coup d'un seul bras que je serre fort, puis frotte mon poing libre sur ses cheveux en rigolant. Il fallait se détendre un peu.



« S'il n'est pas mignon notre cher James !  Allez, partons ! »


J'enfile mon chapeau de paille, ne garde que mon sabre et j'espère que la repousse de ma barbe atténue la ressemblance.

Il est des choses que je supporte difficilement. L’arrogance d’autrui, notamment. Le mépris, l’orgueil et l’avidité sont des qualités en cette sombre époque, mais je ne peux m’empêcher de les mal considérer. Si ce songe à cela, ce n’est pas qu’Anthony soit particulièrement agaçant. Au contraire, hormis ce scepticisme au cœur même de ses doutes, je pense pouvoir allègrement lui faire confiance. Mais il manque quelque chose pour que cela soit entier. Lorsqu’il m’ébouriffe les cheveux, plus spécifiquement, je ne peux me retenir de perdre mon entrain. Il est des choses, comme ça, qui ne le font pas. Me dégageant donc de son emprise en fronçant sévèrement les sourcils, je me recoiffais quelque peu après cela. Son agitation soudaine était-elle la preuve d’un accroissement de la tension chez lui ? Pensait-il évacuer son stress en s’en prenant à moi de la sorte ? Cette attitude enfantine ne m’inspirant de trop, je soupirais en scrutant le sol. Le sable, sous mes pieds, m’avait toujours été désagréable pour marcher. Mais bon, je ne pense pas que le choix ait existé à ce moment.
 

«… »

 
Je l’aurais bien qualifier d’un petit « refais ça et je te tue » mais l’endroit n’était approprié. Au contraire, il aurait su accentuer son petit air moqueur, voire tenté de reprendre complètement le dessus sur moi en me traitant de sous-fifre. Et dieu sait que je n’aime cela. Surtout lorsque je n’ai pas vu les capacités de mes supérieurs. Si Anthony est un génie, je n’en sais rien, malgré sa réflexion. Mais son talent d’infiltration ou de combat m’est totalement inconnu.
Me craquant le cou et m’étirant, je crois que je suis prêt. Il est temps d’y aller. Un dernier coup d’œil pour le navire, une vérification de mes gars qui ont retiré leur tenue militaire, et nous avons l’air paré. Ne reste plus qu’à y aller. Je ne vais pas suivre Rainworth, ni le précéder, mais y aller à ses côtés.
 

«Si les choses tournent mal, je ne sais pas encore dans quel camp je pencherai. Mais disons que je t’accompagne pour la forme.  »

 
Je dis ça, c’est histoire de le rassurer. De toute façon, je marche avec lui et n’ai pas l’intention de le menacer vraiment. La vie d’un homme est déjà bien assez fragile comme ça pour ne pas en rajouter.
 

Avant de partir, je me dois de faire les dernières vérifications, car il faut que tout soit parfait. La zone est parfaitement bien quadrillée. Une centaine d'hommes stratégiquement placés, de telle sorte à ce que tous les angles soient surveillés. Des hommes font des rondes sur les deux bateaux, la vigie est toujours à l'affût du moindre mouvement, des hommes placés dans la forêt – ils l'explorent, d'autres scrutent la plage en restant tout de même à l'abri des regards indiscrets et le bateau camouflé par le récif rocheux. Tout semble en ordre. Encore quelques conseils et recommandations, puis j'en ai à présent fini avec cela. Nous pouvons partir. James me balance une phrase à la fois rassurante et inquiétante avant de partir, enfin qu'importe, je ne souhaite que l'on m'aide – par peur de perdre des personnes par ma faute. Nous en avons fini sur cette plage, la nuit était sombre et donc peu de chance d'être repéré ici.


Chemin faisant, je sors une bouteille de rhum que je commence à descendre lentement. Je me dois d'être en condition pour la mission. Chacun fait à sa manière. Pour ma part, ressembler à un ivrogne est la meilleure solution. Un alcoolique parmi tant d'autres passe inaperçu. Contrairement aux autres alcools que j'ai pu déguster, le rhum est vraiment celui qui me fait le plus planer. Je me dois de rester lucide et suffisamment festif pour ne pas attirer des soupçons. Quelques minutes plus tard, nous sommes aux portes de la ville. La mission commence dès maintenant.



« Chers compatriotes... Hic ! La mission commence maintenant, hic ! »





Belle imitation d'un dépravé bourré, non ? Quoiqu'il en soit, ça devait marcher pour notre survie.  

Je ne suis pas anti-hiérarchie. Pas plus que je ne suis raciste ou menaçant. En fait, à mes yeux, il est simplement trois choses qui me préoccupent plus que toute chose en ce monde : le bonheur de mon existence, un mélange paradoxal d’amusement, d’égarement et de plaisir pas toujours très-très sain ; la suprématie de cette nation britannique qui a vu mes parents, grands-parents et aïeux atteints par les luttes incessantes avec les pays voisins ; le destin, cette machinerie inébranlable que j’aime tenter d’enrayer et de faire tourner à ma sauce. Notons donc que je suis un manipulateur servant la cause de l’Empire et qu’il me faut souvent user de stratagèmes pour mon propre compte. Aussi, quand Anthony Rainworth, mon supérieur, se comporte ainsi, je ne suis pas gêné. Au contraire, cela confirme ma personnalité. Il est différent mais sert lui aussi la Grande-Bretagne à sa façon, avec ce détachement et cette assurance qui en font un individu tant respecté qu’admiré. Nous n’avons rien à craindre l’un de l’autre. Je dois simplement régler mes agissements en fonction des siens. Puisqu’il est tactile et impliqué, je dois rester en retrait et me montrer plus observateur. Son rôle sera la première personne, je serai la troisième, distanciée et lucide. Même si c’est un fait qui le conduira à prendre plus de risques que moi, nous pourrions très bien nous en sortir tout de même tous les deux. Voilà pourquoi je ne bois pas et me trouve un chapeau de paille. Mon apparence, plutôt paysanne, serait à l’opposé de la sienne. Déjà, aux portes de la ville, je ne pense pas qu’il ait vu, mais je suis accompagné de deux de mes hommes et nous portons des sacs de pommes de terre sur le dos. L’effet est très réussi, je pense. Pour y donner plus de véracité auprès du public potentiel, je bouscule le vice-amiral en passant près de lui et fait tomber plusieurs patates du sac sur le sol avant de gueuler.
 

«Oh, mais pousse-toi donc ! Tu peux pas faire un peu attention, ‘bruti ?! »  

 
Ce n’est que pour donner un style. Il n’est pas question de rester sur place ni de perdre du temps.