Suspendu dans les airs au bout d’une sorte de harnais, Clovis sculptai minutieusement la figure de proue d’un navire marchand. L’homme auquel il appartenait avait demandé au jeune suédois de faire en sorte que toute la proue ressemble à sa femme. Pour cela, lui avait donné une sorte de gravure ou y figurait le portait de la femme en question. C’était un homme rendu riche par le commerce outre-mer et il était hors de question que Clovis refuse une telle offre. Sculpter des visages était une de ses spécialités.

Sauf que le visage de cette femme était d’un ennui mortel. Aucun trait particulier, rien dans son visage ne lui donnait un air unique. Elle avait un visage désespérément banal et Clovis eut tôt fait de terminer sa figure. Mais pour le montant que l’homme lui avait donné pour faire de cette proue une figure artistique, le jeune homme aux cheveux blond se senti un peu gêné d’offrir si peu pour la somme d’argent remis. Alors il fit tout pour la rendre la plus magnifique possible, travaillant sur le bois pour donner à la figure une robe extravagante, tapissé de centaine de petites fleurs et de broderies en haut-relief. Il étira les cheveux de la proue pour lui donner une impression de vent dans le visage, jusqu’à ce qu’elle ait l’air mythique, comme toute droit sortir du panthéon romain.

En ce moment, toujours suspendu au harnais pour passer un temps infini à travailler les pieds de la figure, Clovis était maître de lui-même. Rien ne semblait pouvoir le détourner de son travail, même pas une guerre. Prenant pieds sur la coque du bateau, ses yeux jaunes cerclés par les lunettes de protection qui le protégeait des petits morceaux de bois, il avait l’air complètement absorbé…

Clovis retira ses lunettes de protection pour scruter les alentours de ses yeux jaunes perçants comme un aigle. Il venait d’entendre siffler dans la direction du bateau sur lequel il suspendait toujours. Cherchant d’où un tel affront pouvait-il bien provenir, il ne vit qu’une jeune femme rousse trainant un baluchon. De quel droit sifflait-elle vulgairement un tel chef-d’œuvre? Clovis émit un faible grognement hautain. Face à une sculpture aussi prodigieuse, le grand suédois préférait toujours un ébahissement silencieux à un long sifflement bruyant. N’importe qui d’autre aurait été flatté, mais le caractère sévère et bourgeois de Clovis associait ce sifflement à une réjouissance indécente. Et un outrage profond.

Autant dire qu’il avait parfois un balai enfoncé tellement loin dans son cul que ses pieds ne touchaient même plus à terre.

Clovis voulu regarder la jeune rousse impertinente de plus près. Il grimpa sur le bateau amarré, se détacha de ses harnais et mis pied sur le port. Secouant ses cheveux blonds avec ses mains pour faire tomber des petits morceaux qui s’étaient faufilé entre ses mèches, il s’approcha de la jeune fille. Clovis avait toujours sa tête impassible de suédois. Bien qu’il haussa le sourcil devant l’habillement l’inconnue. Des vêtements barbouillés de terre et d’herbe. Peut-être une jardinière?...Clovis réprima son envie de les lui arrachés de sur le corps pour, bien sûr, aller les frotter dans de l’eau savonneuse pour les rendre plus présentables.

De toute façon, convenable ou pas, il voulait seulement s’assurer que cette jeune femme n’était pas une potentielle cliente. Enfin près d’elle, le grand blond fit sèchement une courbette.

-Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous…admiriez mon œuvre, dit-il l’air impassible, d’un ton toutefois avenant qui ne masquait pas son accent suédois, aux ''i'' allongés et aux ''u'' très doux. Je me suis beaucoup inspirer du style de Francesco Mochi pour le trait du visage mais j’ai hésité longuement entre lui et Lorenzo Bernini. Enfin, je ne voulais pas tombé trop dans le maniérisme mais on voit bien la tendance baroque. …. Ça vous plaît?

Clovis eu un sourire. Elle n’avait peut-être pas compris un mot de ce qu’il venait de dire.